samedi 2 avril 2016

La philosophie et l'hôpital selon Cynthia Fleury

Une revue syndicale (*) publie un entretien avec la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury titré "La philosophie a sa place à l'hôpital." Cynthia Fleury inaugure en effet en janvier 2016, conjointement avec Frédéric Worms, la chaire de philosophie et sciences humaines de l'Hôtel-Dieu de Paris.
Nous avons voulu créer une chaire de philosophie ouverte à tous, patients, familles de patients, médecins, personnels soignants ou non, simples citoyens. Une personne qui vient à l'hôpital, c'est avant tout un sujet, pas juste une pathologie. La question de la reconnaissance du sujet est essentielle, consubstantielle à la question du soin.

Soigner l'hôpital

Par l'effet d'une rationalisation instrumentale, d'une évaluation permanente de la rentabilité et de la productivité, d'une course à la performance, les hôpitaux, comme le notait Michel Foucault, "deviennent des machines" : Des machines à guérir, certes, mais aussi à disqualifier le sujet. De plus,
Personne n'a le monopole de la fonction soignante. Le cuisinier ou le brancardier à qui un patient se confie détient une parcelle de cette fonction. Elle n'appartient pas seulement au corps soignant, elle est collective, elle est en partage. Les patients entre eux fabriquent du soin...
Et il y a selon Cynthia Fleury une attente immense chez les professionnels. La question de la maladie, du soin, de la vulnérabilité, c'est la question même de l'existence. En outre l'hôpital, bien commun de la cité. Le soin doit être vu comme "dimension politique de la cité. Il n'y a pas de cité sans cette université de la vie qu'est l'hôpital." L'hôpital doit rester ou redevenir un lieu hospitalier.

La singularité, l'irremplaçabilité du sujet. 


Du point de vue de la science pure et même du soignant, je peux ne devenir qu'un cas, non plus un sujet. Si nous sommes interchangeables, nous n'existons plus comme sujets. Ceci est vrai de l'hôpital, mais  encore à plus forte raison dans un état démocratique :
L'Etat de droit, parce qu'il sous influence néolibérale, ne voit pas qu'il détruit les sujets et, ce faisant, se détruit lui-même. Les sujets ne sont plus aptes à le protéger. Un individu qui n'est plus reconnu dans sa valeur de sujet, soit il dépérit, il est dépressif, il ne va plus voter, - soit il entre dans un phénomène de ressentiment, et il va stigmatiser l'autre : les chômeurs, les migrants... La démocratie ne l'intéresse plus, il se tourne vers les courants fascisants ou populistes.
L'individuation au contraire, selon Cynthia Fleury, "c'est la construction du sujet." Cela n'est possible que si on lui rend "le sentiment qu'il a un peu de prise sur sa vie." C'est d'ailleurs l'enjeu central du principe d'égalité :
Nous n'avons pas d'égalité de naissance. La seule façon de vivre un tout petit peu notre égalité, c'est d'avoir chacun la même capacité de transformer la vie collective.
Ainsi le sujet peut-il accéder à l'histoire, autrement qu'en la subissant. Et de fait, conclut Cynthia Fleury, il est faux de parler aujourd'hui de dépolitisation. La société démocratique, de fait, s'invente tous les jours.
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  • (*) CFDT Magazine, avril 2016.. Entretien mené par M.-N. Eltchaninoff. Lire l'article en ligne : Lien
  • La chaire de philosophie sur le site de l'Hôtel-Dieu, avec vidéogrammes des conférences : Lien
  • Les Irremplaçables, de C. Fleury, présenté par Les Inrocks : Lien
  • Présentation et entretien dans Télérama : Lien 
  • Présentation de l'éditeur : Lien

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