Jean-Daniel Causse, professeur au département de psychanalyse de Montpellier 3, résume dans un entretien à l'hebdomadaire
Réforme (12 nov.2015), les points forts et les faiblesses de la pensée de
René Girard.
1.Le désir mimétique
Cette vision du désir, comme désir de ce que l'autre visible apprécie - désir du désirable - est féconde, certes. Mais d'une part, ce concept est loin d'ouvrir toutes les portes. Prétendre qu'il permet une interprétation générale de la réalité n'a pas de sens. D'autre part,
L'approche girardienne du désir me paraît un peu rapide. Il est indéniable qu'il existe une dimension mimétique dans le désir, mais on en reste ici à un imaginaire, un jeu de miroir, un jeu du double. Or dans le désir, il y a le désir de l'Autre [...] La source de notre désir est toujours plus vaste, plus large, plus complexe, que le seul rapport au semblable [...] Il ne s'épuise pas dans la rivalité mimétique, mais il est aussi le désir d'être reconnu par un Autre que soi-même.[...] En réalité..., le désir n'a pas d'objet |...] Ce que le désir désire, c'est de pouvoir continuer à désirer, donc à être vivant.
2. La figure du bouc émissaire
Ce qui est en jeu, en réalité, c'est plus largement que le dispositif du bouc émissaire, "la façon dont chaque société expulse sa propre violence, sa rivalité mimétique, en cherchant des exutoires, des manières de l'expurger."
Chaque société a toujours eu à réguler la violence par des rites, des processus de sublimation, des interdits culturels, mais aussi par des sacrifices.
3. La singularité du christianisme
René Girard reste enfermé dans une interprétation sacrificielle de la mort du Christ, ce qui est loin de rendre compte de toutes les lectures déjà présentes dans le Nouveau Testament. S'il y a dans le christianisme antique une sortie du sacrifice, c'est aussi pour bien d'autres raisons liées à l'histoire des sociétés.
On peut se demander si le principe sacrificiel, même une fois dénoncé, ne perdure pas, et si le désir mimétique ne reste pas ancré au coeur de l'humain [...] Toute culture ne peut qu'organiser la gestion de la violence. Il y a de l'incurable. Il y a ce qui ne disparaît pas. Il y a des processus culturels, des symbolisations, des processus langagiers. Comment le christianisme opère-t-il dans une histoire humaine qui restera traversée par des conflits et des logiques du sacrifice ?
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- J.-D. Causse, page universitaire : Lien
- "La psychanalyse a-t-elle encore quelque chose à nous dire ?", conférence de H. Rey-Flaud à l'université de Montpellier présentée par J.-D. Causse (vidéo 2011, 60 min.): Lien