La vie tient-elle, ou trahit-elle ses promesses ? Mais quelles promesses aurait-elle à tenir ? Et promesses formulées par qui ? On dirait que déception et lassitude de l'existence se retournent contre elle. Il lui est fait grief, il lui est fait reproche. Comme le dialogue entre l'homme et sa conscience, on la voit transformée en une interlocutrice devenue injustement muette.
Pourquoi, dans la désillusion, dans la déception, s'engage-t-on dans cette voie du reproche, alléguant une promesse dont on ne peut produire que des traces incertaines, mais bouleversantes ? On se sent dessaisi de quelque chose que de bonne foi l'on pensait posséder fermement, débouté d'un droit qu'on tenait pour inaliénable.
Le paradigme de l'amour maternel
Dans son roman La Promesse de l'aube, publié en 1960 et réédité en 1980 dans sa forme définitive, Romain Gary donne une description saisissante de l'origine, selon lui, de cette déception :
On ne peut mieux souligner la nature intime et émotionnelle de la déception. Quitte à se demander ce qu'il en est de l'enfant abandonné à sa naissance, ou de l'enfant victime de violences maternelles.Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est ensuite obligé de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances? [p.43]
Mais l'exemple puissamment invoqué par le romancier nous conduit à cette attente indéracinable qui habite chaque individu à l'égard d'une antériorité, d'un pan entier de l'expérience qui le précède.
L'attente et la sagesse
Si l'on revient à la phénoménologie que fait Paul Ricoeur de la promesse, il semble en effet qu'en fonction du thème de l'attente on comprendra mieux cette figure de la promesse surgie des désapointements de l'âge. Que la promesse réponde ou non à une attente de l'autre, elle crée de toute façon une attente, désormais, chez cet autre. Ainsi nous attendons quelque chose de la vie. Et pourquoi, sinon parce que la vie nous a été donnée sans demande de notre part : entre elle et nous, l'engagement est dissymétrique. La vie ayant l'initiative, pourquoi n'aurait-elle pas d'obligations à notre égard ?
Il est donc possible en définitive de dire que la vie ne trahit pas ses promesses, et ce, en fonction de deux arguments contradictoires. Soit l'on maintiendra que la vie ne fait aucune promesse, que cette idée de promesse est pure illusion : c'est la voie de la raison pure. Soit l'on considèrera que la vie naissante, comme promesse (l'aube de Romain Gary) est bien promesse d'une certaine façon au vu de notre attente, mais promesse dont le contenu encore ignoré est à inventorier, et c'est la tâche d'une philosophie humble et pratique qui pourrait indiquer la direction de la sagesse, voire celle du bonheur. Auquel cas on pourrait soutenir que la vie tient ses promesses, mais des promesses masquées, sibyllines, qui sont de l'ordre de l'oracle, et engagent sourdement, invoquant la pensée de Maria Zambrano, la confiance entendue absolument, et par là pour ainsi dire, suivant le même guide, le commerce des hommes et des dieux.
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