samedi 9 juillet 2016

L'enfance, ressource vitale selon Anne Dufourmantelle

"L'enfance est en voie de disparition" ; tel est le constat de Anne Dufourmantelle dans une tribune intitulée "L'Art de l'enfance" (Libération du 9 juillet 2016). Selon la psychanalyste et philosophe, l'adolescence, "invention du rêve américain", n'aurait de cesse de "s'étendre dans les mentalités et les mœurs, au point de commencer aujourd'hui dès la prime jeunesse" et d'attendre jusques à la vieillesse.

Nous serions donc les acteurs, consentants ou non, d'un vaste film publicitaire, avec tout ce qui le caractérise :
Narcissisme, passage à l'acte, uniformisation des âges et des sexes sous le prédicat de la mode, inséparabilité, envie synchrone de transgression et de régression,  peurs incontrôlables, irresponsabilité, désir revendiqué d'indépendance, mais de cocon en réalité...

Le parti de l'enfance

Pure ? Raisonnable ? L'enfance n'est rien de tout cela. S'il importe de la relever de l'enfouissement auquel nous la condamnons, ce n'est pas qu'elle serait parée de toutes les vertus. Mais elle en possède certaines en propre, irremplaçables, et composant un mélange unique, à commencer par "l'expérience... de l'intensité et de l'innocence". Allant à la rencontre, en nous-mêmes, de l'enfance, nous avons à renoncer au ressouvenir que nous nous en sommes forgé, constamment bercé, caressé et poli. Il importe au contraire, de "prendre le risque de l'enfance"; n'oubliant jamais qu'on a été enfant ;
L'enfance constamment vivante, c'est [...] une expérience de l'indemne, de l'intact, de l'émerveillement, de la déception, aussi. Une charge d'esprit qui procure de la joie et permet la créativité au quotidien.

Art et solitude

Mais pour accéder à cette enfance intacte en nous, secrète et toujours vivante, il faut accepter abandon et métamorphose. Parce que l'enfance est dangereuse aussi, avec
Sa folie douce [...] le désordre, l'incohérence, le délire, le désir, mais aussi la perception immédiate du fiable et de l'équivoque, la capacité d'habiter l'instant, le pouvoir de recréation - de récréation - du langage.
Des écrivains, poètes ou artistes, parfois, semblent détenteurs du pouvoir des clefs de l'enfance, ouvrant alors à "son impure perfection", sa noblesse intime, sa liberté jaillissante.  

S'il est vrai que nous habitons un monde où, nous le voyons, "l'effroi de la vie donne la passion de la mort", alors subsiste, infiniment disponible, "l'enfance en soi, comme un remède".
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  • Lire "L'Art de l'enfance", article de A.Defourmantelle dans Libération du 8 juillet 2016 : Lien
  • A.Defourmantelle dans le quotidien Libération : Lien
  • A.Dufourmantelle dans Wikipédia : Lien
  • A.Defourmantelle sur France Culture : Lien

dimanche 3 juillet 2016

Sartre, continuité d'une pensée

Voici une sorte de manuel sartrien, destiné à un large public : il est distribué sous forme de supplément au journal Le Monde. Un manuel, donc; qui n'est certes pas dépourvu d'intérêt. D'abord parce qu'en 150 pages, agréablement édité, il rassemble ce qu'il est utile de savoir pour se lancer dans une lecture ou relecture tant soit peu systématique de l’œuvre sartrienne. Œuvre abondante, multiple, parfois même contradictoire à première vue, ici présentée en cinq chapitres : 1/ La liberté de l'individu, 2/ Littérature et engagement, 3/ L'existentialisme marxiste, 4/ Morale et angoisse, 5/Autrui et la dialectique de la réification. S'ajoutent à cela un glossaire, une bibliographie succincte et un index.

Mais le grand mérite de ce livre de Juan Carlos Gomez Garcia est avant tout de souligner l'unité des préoccupations et des questionnements que Jean-Paul Sartre, tout au long de son parcours intellectuel, déploie et met en œuvre au travers d'un archipel de romans, pièces, articles, essais littéraires et philosophiques...  Ce parti, constamment soutenu, autour de l'obligation faite à l'homme par un monde sans signification pré-déterminée de prendre par l'action une position morale, illustre la liberté inaliénable que le philosophe attribue à l'individu.

Parlant d'unité, ce petit guide de la pensée sartrienne prend soin notamment de ne pas opposer un Sartre "marxiste" (les années 1950-1960) à un Sartre purement "existentialiste" antérieur. Il s'agit davantage pour l'auteur de L'Etre et le néant de "donner une dimension pratique", dans la situation historique qui est la sienne, aux thèses du premier grand ouvrage [p.79]. D'où un "enchaînement logique" de L'Etre et le néant (1943) à la Critique de la raison dialectique.(1960) : il s'agit de prende la mesure de la dimension socio-politique et historique de l'individu à l'aide des outils forgés jusque-là.

Un tel format éditorial oblige à choisir, et l'on pourra discuter l'équilibre du traitement des œuvres et encore bien des points de détail et des omissions. Mais un tel essai de synthèse, par l'auteur en 2002 d'une thèse sur L'Etre pour autrui sartrien, d'une grande clarté, est d'un grand agrément
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  • Sartre, de Juan Carlos Gomez Garcia, traduit de l'espagnol par S.Meslin, Collection Apprendre à philosopher, RBA France, juin 2016, ISBN 978-2-8237-0354-2. Distribué par Le Monde, juillet 2016. 159 pages, 9.99 €.  : Lien
  • "Trois moments de la réception espagnole de L’Être et le néant, de Jean-Paul Sartre, par Thierry Capmartin, thèse (fr), 2012 : Lien
  • Présentation de L'Etre pour autrui sartrien, thèse de Juan Carlos Gomez Garcia (es) : Lien
  • "Witold Gombrowicz et Sartre", article de Juan Carlos Gomez (es) : Lien