lundi 31 août 2015

Arthur Koestler, pourquoi les révolutions échouent-elles ?

Spartacus , rédigé de 1935 à 1939 est un roman "historique" d'Arthur Koestler, le premier d'une trilogie puisant largement son inspiration dans les événements qui lui sont contemporains - à savoir le devenir de la révolution socialiste ayant pris son essor en Russie en 1917. Cette trilogie comprendra encore Le Zéro et l'infini et Croisade sans croix. Mais Spartacus, paru en Grande Bretagne en 1939 sous le titre The Gladiators, ne sera traduit en français qu'en 1945.

Pourquoi les révolutions subissent-elles des déviations ?


Comment une révolte de 70 gladiateurs a-t-elle pu se transformer, dans l'Italie du 1er siècle avant notre ère, d'abord en une vaste révolution populaire contre les profiteurs de guerre, les accapareurs, les ploutocrates, les aristocrates enfin, avant d'être écrasée dans le sang deux ans plus tard ?

La documentation du roman est minutieuse, et les techniques romanesques pour animer une oeuvre littéraire de cette ampleur en font aujourd'hui encore une lecture agréable. Néanmoins c'est le souci proprement philosophique qui anime Arthur Koestler dans son interrogation de l'histoire qui nous retient ici.

De la révolution à la terreur


Dans la premier développement du mouvement de la révolte, Arthur Koestler montre sa difficile mutation en authentique mouvement révolutionnaire de la bande de gladiateurs révoltés. De ville en ville, leur nombre augmente considérablement, grossi d'esclaves et de membres de la classe moyenne dépossédés par la politique corrompue et désorientés. Mais ce recrutement hasardeux freine bientôt par ses violences incontrôlables le raliement des classes populaires.

Spartacus formant le projet d'une cité idéale, collectiviste et égalitaire, le travail devient de chose servile le lot de tous. L'idéal élevé de cette cité, difficile à comprendre par tous, provoque des oppositions, bientôt cruellement réprimées : chaque jour voit ses crucifixions "pour l'exemple". Et bientôt, même les plus fidèles confidents de Spartakus en viennent à être éliminés.

Les troupes se scindent, divisées entre ceux qui veulent affronter sans espoir réel les armées romaines, ceux qui rêvent de regagner leurs pays d'origine, ceux qui poursuivent un combat désormais sans horizon. A quoi attribuer cet échec final ? A la réaction massive des possédants, servie par l'ambition de généraux rivaux ainsi que par la disponibilité de légions non démobilisés après les campagnes d'Espagne. Mais surtout, le romancier y insiste, au manque de maturité politique des masses.

Ce qui nous renvoie bien sûr aux problématiques du XXe siècle.

Échos du mouvement spartakiste


En 1939, année où paraît en anglais The Gladiators (Spartacus), tout le monde a en mémoire le mouvement spartakiste allemand, Spartakusbund (Groupe Spartakus), rendu tristement célèbre par son écrasement par les forces gouvernementales de la gauche modérée en 1919, suivi de l'assassinat par les milices de ses principaux leaders Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

Cette proximité explique que Arthur Koestler (lui-même hongrois et militant communiste, qui séjourne à Vienne de 1922 à 1926) n'y fasse aucune allusion dans son ouvrage. Par ailleurs, pousser plus loin le parallèle eût été difficile : le mouvement spartakiste s'enracinait dans un refus explicite dès 1914 de ce qui allait devenir la première Guerre mondiale, dont on ne trouve pas l'équivalent dans l'histoire de Rome.

Reste que tout cela oriente le travail du romancier, qui nourrit son parcours de nombreuses allusions à des préoccupations contemporaines de philosophie politique. Donnons-en un exemple pour finir :
Quel destin les attendait tous [pensait Fulvius] puisque la révolution avait avorté ? Peut-être la Cité du Soleil, sortie du sol avec une rapidité surprenante, n'était-elle qu'un simple intermède comme la dictature de Sylla. Pourquoi fallait-il que l'histoire n'eût que des cauchemars ? Pourquoi ne se réveillerait-elle pas un jour et ne suivrait-elle pas sa propre voie ? - Quelle voie ? Toutes ces souffrances, ces détours tortueux  qu'il fallait emprunter pour atteindre le but,n'était-ce pas la loi historique elle-même au lieu d'être un moyen pour une fin ? - Le but ? N'était-ce pas une illusion volontaire que se forgeaient les hommes ? [LdP, p.193]
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  • Arthur Koestler dans Wikipédia : Lien
  • Une lecture intéressante de Spartacus : Lien
  • Aperçu de Arthur Koestler et de ses romans politiques par Michel Laval : Lien
  • Arthur Koestler et son oeuvre jugés par George Orwell (en) : Lien
  • La Guerre de Spartacus sur le site académique de Versailles : Lien
  • Article Spartacus dans Wikipédia : Lien
  • Article 'Ligue spartakiste' dans Wikipédia : Lien
  • Rosa Luxembourg, articles et interventions: Lien
  • Karl Liebknecht, notice biographique et textes : Lien

jeudi 27 août 2015