mardi 14 juillet 2015

LA PROMESSE Forum Le Monde Le Mans



France Culture diffuse en juillet 2015 les interventions du Forum Le Monde Le Mans sur le thème de la promesse qui s'est tenu en novembre 2014 - soit une dizaine d'interventions de 58 minutes environ :
  • Leçon inaugurale de Jean-Luc Nancy
  • Questions à Jean-Luc Nancy
  • Peut-on se passer de la promesse ? (1 et 2)
  • La promesse comme croyance sociale (1 et 2)
  • Écritures de la promesse (1 et 2)
  • Dieu peut-il tenir sa promesse (1 et 2)
On trouve ces interventions en mode audio sur le site de FRANCE CULTURE : Lien
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Par ailleurs, Philosophie Contemporaine France a déjà recueilli un certain nombre de contributions autour de LA PROMESSE.

On les trouvera récapitulées à cette adresse :Lien

samedi 11 juillet 2015

Religion hier et aujourd'hui selon Alain Touraine


A la fois récapitulation de recherches effectuées par Alain Touraine dans et sur le monde contemporain depuis cinquante ans, et tentative d'embrasser du regard le vaste panorama qu'il constitue désormais globalisé, La fin des sociétés (*) permet d''appréhender la richesse des aperçus ouverts par une pensée peu soucieuse de conformisme. C'est notamment qu'Alain Touraine est moins sensible aux ruptures qu'aux continuités... L' "idée générale" qui apparaît à ses propres yeux à ce point de sa recherche, l'auteur la formule ainsi :

Plus les sociétés sont créatrices, plus elles deviennent aussi réflexives, plus elles s'interrogent sur leur créativité, alors qu'elles semblent au premier abord constituer des réseaux de déterminants sociaux, économiques et culturels, qui paraissent étouffer l'autonomie et la particularité de chacun de leurs membres. [2015, p.207]


"Le sujet et les religions"


Mais intéressons-nous ici à l'une des questions que l'auteur traite d'une manière particulièrement originale, celle de la situation des religions dans les sociétés contemporaines, qui fait principalement l'objet du chapitre cinquième ...

Pour Alain Touraine, il s'agit de rien moins que renverser l'analyse, selon les principes exposés dès 1992 dans Critique de la modernité... "J'ai déjà dit que je voyais, écrit-il, au lieu du triomphe de la sécularisation, l'émergence du sujet humain créateur de lui-même et de la conscience de soi comme porteur de droits universels, à mesure que se manifeste plus clairement sa domination technique sur le monde et sur la vie humaine. Armé de cette idée, quand je me retourne sur le passé, je distingue des formes plus faibles, "voilées", du sujet." [p.519]

Ce qui se joue pour l'auteur, est donc tout autre chose que le triomphe de la raison (bien réel toutefois) en lutte avec le religieux - bien que nombreux aient été les combats, bien réels eux-aussi,
qui ont marqué l'histoire des sociétés depuis le siècle des Lumières. Le christianisme ? "Le christianisme m'apparaît comme l'héritier du rationalisme grec, et l'idée moderne de sujet comme l'aboutissement des formes indirectes de la conscience créatrice, encore prisonnières dans le passé de la trop faible capacité des hommes de transformer le monde, et de se transformer eux-mêmes." |ibidem]

Religieux, sacré, divin


S'il y a une réelle rivalité dialectique, par conséquent, c'est moins entre la clarté décisive de la raison opérante et l'obscurantisme de la superstition, qu'entre deux faces insuffisamment distinguées du phénomène religieux. Cette dialectique met en présence " l'univers du sacré, qui est celui où le sujet se perd lui-même dans les cadres sociaux de l'expérience vécue, et l'univers du divin, qui est l'expression indirecte, renversée, de la conscience d'un sujet créateur comme fondement des droits mais aussi de la faiblesse humaine." [p.520] Ainsi, "l'époque post-religieuse n'est pas celle du triomphe de la raison, mais celle de la pleine conscience de soi su sujet créateur et garant des droits de l'individu." Historiquement, "C'est seulement après le plein développement de toutes les formes de religion civile, bourgeoise, prolétaire ou coloniale, que peut être décelée l'entrée dans la période post-religieuse, qui impose la priorité absolue du sujet humain sur toutes les expressions sociales et politiques qui le menacent ou l'entravent."

C'est pourquoi la séduisante théorie de Marcel Gauchet peut se révéler, à la réflexion, décevante, estime Alain Touraine. Le christianisme, écrit- il, ne peut pas être simplement considéré comme "la religion de la sortie de la religion". S'il est vrai, comme l'assure l'auteur du Désenchantement du monde, que la raison joue un rôle majeur dans l'avènement de l’État moderne, il n'en est pas moins vrai que c'est à la période des monarchies absolues que l'ont voit le christianisme atteindre l'apogée de puissance, tant du fait du pouvoir politique que de la vigueur, à ce moment, " de la foi et de l'action religieuses". |p.521]

Ce qui distingue cette représentation de celle du déclin progressif, accéléré par le christianisme, du monde religieux, est que je ne crois possible de parler de pouvoir religieux qsu'à partir du moment où le divin se sépare du sacré, qui s'inscrit dans le social." [p.520]

La laïcité


Alain Touraine définit la religion comme "une figure voilée du sujet" [p.523] Le voile religieux serait l'acceptation par le sujet des interdits, des décrets surplombant l'action humaine - en un mot "l'acceptation du sacré".

Quand les monarchies absolues ont été renversées par les bourgeoisies urbaines et les soulèvements populaires, c'est l'idée de société qui est devenue le principe de légitimation des conduites et des institutions sociales au nom de l'intérêt général.

Et c'est dans ce contexte que "la référence au sujet a pris une importance croissante." Ainsi, on ne peut parler sérieusement de sécularisation qu'à partir du moment où le Bien se définit ouvertement par les besoins de la société, comme garante de l'existence de ses membres. [p.524]

Examen

Il ne saurait être question ici de rendre compte de l'ensemble des développements d'Alain Touraine, qui appellent une lecture attentive ! Bornons-nous à souligner l'intérêt de ces mises en perspective, par lesquelles l'auteur remodèle puissamment les schémas généralement admis, plutôt qu'il les bouscule. Dans les passages ici mis en avant, il est clair que l'idée du sujet religieux comme "figure voilée du sujet", celui-ci apparaissant en pleine lumière lorsque l'ordre religieux se rééquilibre au profit du divin et au détriment du sacré, mérite l'attention.

Il n'en reste pas moins que la question du sacré n'est pas épuisée par cette impressionnante démonstration, non plus que celle du sujet. La dimension du tragique, que l'antiquité grecque développait  concurremment avec la figure du sujet rationnel de la polis, est-elle encore dicible aujourd'hui, alors qu'une série de guerres meurtrières et de massacres, de dominations et de décolonisations  sanglantes pèse sur les consciences et affaiblit le sujet de droit dans sa revendication de la justice ?

(*) Alain Touraine, La fin des sociétés, Seuil, 2013 (2015, poche), 657 p, 12 €
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  • Article de JM. Durand dans Les Inrocks : Lien
  • Entretien avec J.Birnbaum dans Le Monde : Lien
  • A.Touraine reçu par la librairie Mollat, vidéo 28 minutes : Lien
  • Conférence à Lille, vidéo 2 heures : Lien
  • Centre d'analyses stratégiques, vidéo 1 h 50 : Lien
  • Le blog d'Alain Touraine : Lien

jeudi 9 juillet 2015

Dette publique, endettement, recherches en cours


Open Edition publie régulièrement un calendrier de travaux et de recherches, dont nous reproduisons ici les éléments suivants :

Les crises de la dette publique

Mardi 15 septembre 2015 | Histoire | Appel à contribution | Paris (75)

Considérant l’acuité prise depuis quelques années par le phénomène économique de la crise des dettes publiques, le bureau de la Recherche de l'Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) se propose de réunir une série de communications relative à la question suivante : « Comment entre-t-on dans une crise de la dette publique et comment en sortir ? ».
 L’objectif est d’obtenir une couverture internationale aussi large que possible qui rende possible les comparaisons entre les différentes expériences historiques et facilite l’analyse des modes de diffusion ainsi que la mise en évidence des modalités de transfert des processus de surendettement et de désendettement des États.

= > En savoir plus : Lien

 

L'endettement comme rapport social : limitation ou condition de la liberté ?

Mercredi 15 juillet 2015 | Études du politique | Appel à contribution | Nanterre (92001)

Le concept même de dette, que celle-ci soit publique ou privée, permet de caractériser tout un ensemble de relations sociales sur lesquelles le regard porté ne peut être neutre. L'objet du colloque est d'interroger les présupposés qui sous-tendent différentes conceptions de la dette et de l'endettement, de comprendre comment celles-ci s'entrecroisent et s'appliquent au sein de la réalité.
 Comment qualifier ces différentes relations sociales qui se développent sous l'entremise de la dette ? Le problème que nous posons renvoie à des considérations qui mettent en discussion certains postulats insuffisamment questionnés autour de la notion de dette, mais, plus largement, sur le devenir de nos sociétés et des liens sociaux qui s'y développent.

= > En savoir plus : Lien
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LA LETTRE n° 257 | Mercredi 8 juillet 2015 - OpenEdition - Calenda  -  CALENDRIER DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES : Lien

Sur la dette, autres billets parus sur PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE FRANCE :
  • La dette doit-elle diviser ou unir l'Europe ? En référence à Nathalie Sarthou-Lajus : Lien
  • La dette : qu'est-ce que devoir ? par PERMI4 : Lien
  • La dette, économie et métaphysique ? En référence à Heidegger, Sartre, Merleau-Ponty : Lien

lundi 6 juillet 2015

Maurice Godelier, 'Communauté, société, culture'

CNRS Éditions, 2009
"Comment se fabriquent des sociétés dans l'histoire ? Quels sont les rapports sociaux qui assemblent des groupes humains et en font une société, c'est-à-dire un Tout qui se reproduit et les reproduit  ?."Telle est la question que Maurice Godelier se pose devant les Baruya de Papouasie Nouvelle-Guinée qu'il étudie sur le terrain de 1966 à 1988. (p.8) Il s'agit d'une société nouvelle, qui selon ses membres n'aurait que 200 ou 300 ans d'âge. Par ailleurs, ces Baruya partagent avec leurs  voisins, amis ou ennemis, la même "culture", langue, système de parenté, rites d'initiation...

Quelle approche méthodologique ?


Ni rapports de parenté à la manière de Claude Lévi-Strauss, ni rapports de production dans le style marxiste ne ne vont être ici d'un grand secours. Pour Maurice Godelier, "les humains sont naturellement une espèce sociale". Et vivant en société, "ils produisent de nouvelles formes d'existence sociale, donc de société, pour continuer à vivre. Et en transformant leurs manières de vivre, ils transforment leurs manières de penser et d'agir, donc leur culture." (p.10)

En fait les Baruya sont issus d'un groupe ayant fui des massacres, puis ayant massacré à leur tour les clans qui bornaient leurs terrains de culture et de chasse. Mais la violence, cause occasionnelle, ne peut être tenue pour une origine. Selon Maurice Godelier, c'est dans "les rapports politico-religieux" qu’il s'agit de discerner cette origine (p.24).  De l'aveu des Baruya eux-mêmes en effet, c'est lorsqu'ils furent en mesure de procéder eux-mêmes aux initiations,  qu'ils sont devenus les Baruya. Ainsi, "Ce sont les rites d'initiation qui ont permis à ces groupes d'exister comme un Tout à leurs propres yeux et à ceux de leurs voisins, amis ou ennemis" (p. 23). Ce que l'ensemble des rites et des mythes représente et effectue, ce sont les modes d'interdépendance diversifiés des membres entre eux, avec les générations précédentes  et suivantes, et avec l'ordre cosmique. (p. 29)

Confortant ces acquis par la comparaison avec la population de Tikopia et avec le wahhabisme djihadiste né en Arabie au XVIII e siècle, Maurice Godelier est en mesure, comme il en formulait le projet au début de cette conférence donnée à Londres en 2008,  de livrer quelques définitions

Quelques définitions


Il importe en effet de bien distinguer "communauté" et "société". Une communauté est l'ensemble des personnes liées par leurs croyances ou leurs formes de vie à l'intérieur d'une société, coexistant avec d'autres communautés à l'intérieur de cette même société - les Juifs, les Chinois de New York, par exemple. Mais société implique la revendication d'un territoire reconnu, et s'organisant en État, seul à même d’assurer une souveraineté sur ce territoire.. Une société peut elle-même être membre d'une communauté culturelle plus vaste, à l'intérieur de laquelle règne ou non la concorde... Une part importante de la vie des cultures, communautés et sociétés est constituée d'un imaginaire, notamment religieux - c'est-à-dire d'un domaine immatériel.

Autres points de terminologie. Contre la tendance actuelle, il est par ailleurs utile de conserver l'usage de "tribu" et d' "ethnie" : la tribu est ce qui constitue une société aux yeux mêmes de ses membres, alors que l'ethnie n'est pour eux qu'un ensemble plus vague n'ayant en commun que des caractéristiques culturelles. (p.41)  D'où les revendications aujourd'hui d'un État par des groupes kurdes, par exemple.

Les rapports des États aux communautés qui les composent ne sont pas forcément simples. Il existe deux réponses principales à cette question, le communautarisme à l'anglo-saxonne ou 'l’intégration à la française, aussi peu décisives l'une que l'autre... L'épuration ethnique figure une autre réponse, par la suppression supposée du problème.

Qu'entendre enfin par "identité" ?


"C'est la cristallisation à l'intérieur  d'un individu des rapports sociaux et culturels au sein desquels il/elle est engagé(e), et qu'il/elle est amené(e)  à reproduire ou à rejeter. (p.49) Mais le Moi intime est modifié par son histoire, par ses interactions avec les autres - d'où la complexité du Moi social.
Le monde contemporain est marqué par l'intégration croissante dans le capitalisme généralisé, et paradoxalement, dans le même temps, par des revendications de souverainetés régionales plus grandes, la réinvention des traditions voire le rejet de principes essentiels à l'occident comme des Droits de l'homme. La science anthropologique, conclut MG, est plus que jamais précieuse.

Examen.


En refusant de se placer sur le terrain de la philosophie, comme il le déclare  en commençant, Maurice Godelier oblige le lecteur à faire sienne une démarche tout empirique dont, on le constate, la rigueur scientifique n'est pas absente, bien au contraire. C'est sans doute une invitation faite à la philosophie de ne pas malmener les concepts nés de l'observation anthropologique. Cela dit, éclairant magnifiquement la société Baruya, l'auteur apporte-il à la réflexion contemporaine de quoi s'orienter dans la pensée ? Il en est persuadé : au philosophe de tirer parti de ses travaux. Mais s'il est vrai que la notion de "Tout" (avec une majuscule), qu'emploie Maurice Godelier pour caractériser l'être d'une société, que celle de "poilitico-religieux" censée marquer une origine, que celle de "communauté de culture" apparaissant au niveau infra-sociétal, puis réapparaissant au niveau supra-sociétal appellent évidemment un examen approfondi, le réexamen philosophique du champ balayé par l'anthropologie ne sera pas malvenu.
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  • Extraits significatifs du texte de la conférence : Lien
  • M.Godelier au travail chez les Baruya, un film CNRS, 1 heure, 1982 : Lien
  • La production des Grands Hommes, autre réflexion de M.Godelier sur la société Baruya : Lien
  • "Ethnie, tribu, nation chez les Baruya de Nouvelle Guinée", article de M.Godelier, 195985 : Lien
  • "Corps, parenté, pouvoir(s) chez les Baruya de Nouvelle Guinée", article de M.Godelier, 1992 : Lien
  • Maurice Godelier sur Wikipédia : Lien
  • L'article Baruya de Wikipédia : Lien
  • L'île Tikopia sur Wikipédia : Lien
  • Le wahhabisme sur Wikipédia : Lien