lundi 12 décembre 2016

Démocratie : la vraie nature de la représentation selon Myriam Revault d'Allonnes.

Myriam Revault d'Allonnes lors de sa conférence donnée à Auxerre le 2016-12-08 - DR.
Qu'est-ce qu'une "représentation" ? La notion, rappelle Myriam Revault d'Allonnes, a une extension plus large que la représentation politique. Elle exprime au moins deux choses : rendre présent une chose absente (par exemple la peinture), et/ou renforcer la réalité dans sa présentation (par exemple le théâtre, avec son effet réflexif et d'ostentation). La notion grecque de mimèsis de Platon (l'"imitation", idéal de la peinture) s'infléchit chez Aristote, qui réfléchit sur la tragédie, cet art qui explore le possible. Pour Hannah Arendt encore, précisément, le théâtre sera l'art politique par excellence. Comment ce balancement peinture/théâtre (Le Miroir et la scène, titre de son livre récent) (*) pourra-t-il nous aider à comprendre le sentiment de déficit ou de crise de la représentation dont on parle aujourd'hui ?

Deux remarques

 
La première remarque de Myriam Revault d'Allonnes est que politiquement, la représentation ne se réduit pas à l'élection : elle reçoit en compléments l’indépendance des représentants (il n'existe pas de mandat impératif) et l'épreuve de la délibération à laquelle ils sont soumis. 
 
L'autre remarque importante est de nature historique : dès le départ la démocratie représentative moderne a été perçue  comme un oxymore : Thomas.Paine, acteur au 18e siècle des révolutions américaine et française, y voit la. "greffe de la représentation sur la démocratie". Dans son modèle athénien, en effet, la démocratie est essentiellement directe et régie par le tirage au sort : tout un chacun est désigné à son tour pour assumer la plupart des fonctions de la cité. C'est le règne du "n'importe qui". 

Un peu d'histoire

 
Comment la représentation a-t-elle pu devenir un concept politique ? Contrairement à l'idée courante, la question de la taille (cité athénienne/nation moderne)  n'entre pas en ligne de compte. Car en réalité la démocratie moderne ne pense pas la citoyenneté de cette manière : les citoyens consentent, accompagnent et contrôlent  La démocratie moderne est un exercice de contrôle plus que de pouvoir : la citoyenneté est devenue un mode de légitimation et de contrôle. L'extension du suffrage universel va dans ce sens : il y va du droit de participer à la sélection, plus que de celui d'accéder aux taches de gouvernement. Tout cela favorise la professionnalisation de la politique.
 
Comment en arrive-t-on là ? Thomas Hobbes, au coeur du XVIIe siècle anglais, ouvre la modernité. La société est plurielle et ne peut plus être pensée comme un corps. La question est alors : qu'est-ce qui fait lien ? De fait, la "représentation" se substitue à l'"incarnation". (De nos jours, l'expression "président normal" révèle encore ce dilemme). Pour Hobbes, le peuple n'est que multitude avant l'opération qui le constitue comme peuple. Le peuple n'est pas une entité naturelle. Ainsi intervient le thème du théâtre : le peuple est l'auteur de la pièce que joue le roi, qui est acteur. Lorsque le peuple assiste à la pièce jouée par le roi, il doit se reconnaître comme auteur et représenté politiquement : tout cela est compréhensible à l'intérieur d'une théorie du contrat social.

La réalité politique n'est pas simple

 
Il est clair qu'il ne peut y avoir identité du représentant et du représenté. Par conséquent, le lien représentatif est un va-et-vient entre représentant et représenté. Au siècle suivant, Jean-Jacques Rousseau récuse l'image théâtrale au nom de la transparence. Il aspire à l'absence de médiation, à la transparence du miroir reflétant la "volonté générale", tandis que Hobbes parle d'une identification paradoxale via la séparation de type théâtral.
 
LA RÉALITÉ POLITIQUE N'EST PAS SIMPLE. Le lien représentatif est lié  à un écart. Ainsi, de nos jours, Hannah Arendt en propose une image bienvenue : la table autour de laquelle on s'assemble, à la fois réunit et sépare. De la sorte, le problème n'est pas seulement du côté de l'acteur : le spectateur quant à lui doit se reconnaître comme auteur de la pièce. Or de nos jours, la représentation est mise en difficulté par l'incapacité du citoyen de prendre sa place dans cette impossible coïncidence. Il est important d'admettre que la table sépare autant quelle réunit.  

Questions pour aujourd'hui

 
D'OÙ ... Comment inscrire la réalité réflexive du citoyen dans le processus représentatif ? Comment, quant à lui, se représenter lui-même : comme déchargé ? ou comme légitimant ? 2) La démocratie ne se réduit pas à un ensemble d'institutions. Et le commun ne s'exerce que dans la non-cïincidence à soi.
 
Les primaires sont l'occasion d'une mobilisation intéressante, mais signifient-ellesprogrès dans la démocratie ? Elles sont aussi le symptôme de partis faibles, incapables de faire émerger des personnalités susceptibles d'être reconnues. D'autre part, elles font croître l'hystérisation de l'élection présidentielle, Enfin la délégation de pouvoir ainsi obtenue est en trompe l’œil. 

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(*) Myriam Revault d'Allonnes, Le Miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, Seuil, 2016. 

  • Sur le même sujet, écouter sur France Culture Myriam Revault d'Allones, dans "Les Discussions du soir", le 8/12/2016 (Audio 44 min.) : Lien
  • Entrevue dans Libération : Lien 
  • Analyse du livre par J.-M. Durand dans les Inrocks : LienMyriam Revault d'Allonnes dans Wikipédia : Lien
Et aussi : 
  • "Les théories du Contrat social, Hobbes, Locke et Rousseau", par Maryvonne Longeart, Académie de Grenoble : Lien 
  • Thomas Paine dans Wikipédia : Lien