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mardi 25 octobre 2016

BARNAVI, une synthèse des "Dix thèses sur la guerre"

par HH

Dans Dix thèses sur la guerre (Flammarion, 2014), Élie Barnavi livre ses réflexions sur la manière dont la guerre s'inscrit dans l'Histoire d'Israël. Ce peuple resté sans État – et donc sans armée – depuis la destruction du second Temple par les Romains, n'est devenu un peuple guerrier que depuis 1948, date de la création de l'État d'Israël.

Ce récent conditionnement à la guerre s'est construit à plusieurs niveaux :
  • un conditionnement individuel : tout Israélien passera par l'armée. « L'armée fait corps avec la nation (…), elle imprègne les mentalités et le langage ».
  • Un conditionnement collectif, hérités des premiers sionistes pour qui « la figure idéale du Juif nouveau était le paysan-soldat. »
Ce formatage génère une culture sociale et politique spécifique à Israël. Et c'est cette culture qui créé une atmosphère où la violence devient possible, et même acceptable.Car les religieux ultra-orthodoxes, au sein de l'armée, diffusent leur propagande : la Terre d'Israël a été donnée aux Juifs par Dieu, et les ennemis d'Israël doivent être exterminés (l'injonction biblique : « exterminer Amalek »).

Des guerres de religion


Une composante importante du conflit est donc la religion. Deux conceptions de l'État et du sionisme s'affrontent : celle d'Yitzhak Rabin, « nationale, séculière, voit dans l'État et la terre où il s'est installé de haute lutte les outils de la normalisation de l'existence juive. » Celle de son assassin, Yigal Amir : messianique, rejetant la démocratie qui est « une invention « grecque », autrement dit impure et étrangère à l'esprit du judaïsme qui est lui, fondé sur la triple alliance entre Dieu, le Peuple et la Terre. La Terre d'Israël est sacrée, aucune parcelle ne doit en être aliénée aux Gentils, celui qui s'y risque doit le payer de sa vie. »

Élie Barnavi élargit sa réflexion en puisant dans l'Histoire du monde et de ses guerres. Selon lui, au fil des siècles « la sécularisation des esprits (crise de la conscience européenne selon Paul Hazard) rend obsolète la guerre civile au nom de la religion. D'autres principes l'emportent : la Nation, la République, la Démocratie, la Classe. »

Pourtant, les conditions actuelles semblent à nouveau réunies pour de « vraies » guerres de religion. Ces guerres opposent deux religions entre elles (par exemple musulmans et juifs au Proche-Orient), relevant plutôt du terrorisme. Elles peuvent être aussi un conflit au sein d'une même religion, par exemple les sionistes messianiques en Israël, qui s'opposent à un pouvoir jugé corrompu et mécréant. Objectif : assurer les frontières du Grand Israël et imposer un État régi par le droit religieux juif, la « halakha », voire restaurer la royauté. Pour les musulmans : imposer un État régi par la charia, droit religieux musulman, et restaurer le califat.

Guerre juste, guerre de droit


Par définition, la guerre ne saurait être morale. A défaut, elle peut être juste (exemple : pour se débarrasser d'Hitler) mais le postulat de toute campagne guerrière affirme : « la guerre que je mène est toujours juste, et injuste celle qu'on mène contre moi. » Par conséquent, et à défaut de morale, mieux vaut invoquer le droit. Alors se dégagent des principes essentiels : la cause doit être juste, et les moyens utilisés sélectifs et proportionnels.

Les drames de l'Histoire ont provoqué une prise de conscience (les procès de Nuremberg) et une jurisprudence qui ont abouti à créer un droit humanitaire, dont les tribunaux internationaux sont l'émanation. En 2005, une résolution de l'ONU instaurait la responsabilité des États de protéger leurs populations, et l'obligation de la communauté internationale d'aider les gouvernements et de prévenir, au besoin par la force, les crimes de génocide, nettoyage ethnique, crimes de guerre et contre l'humanité.

S'opposent à cette conception ceux qui pensent que les pays extérieurs ne doivent pas se mêler de ces conflits, et ceux qui estiment que la guerre, mal absolu, n'est jamais la solution.

Qu'en est-il du pacifisme ?


Selon Élie Barnavi, le pacifisme, refus intégral de la violence, ne peut qu'encourager les débordements des méchants. L'Histoire a suscité des projets humanistes : Quakers anglais, puis Érasme, Fénelon au Siècle des Lumières... Parallèlement, des projets d'union européenne se multiplient dès le début du 18e siècle. Les guerres napoléoniennes ravivent la passion pacifiste. Les femmes, considérées comme pacifiques par nature, y joueront un rôle croissant.

Une véritable idéologie politique du pacifisme naît au tournant du 20e siècle avec le mouvement socialiste européen. Mais en 1914, dès le lendemain de l'assassinat de Jaurès, commence la mobilisation. « Le nationalisme l'a emporté sur le pacifisme.» C'est l'horreur des tranchées qui réveille le pacifisme, avec ce cri de l'opinion : « Plus jamais ça ! » - ce qui n'empêchera un second conflit vingt ans plus tard -.

Une alternative au pacifisme : la non-violence (Gandhi) peut se révéler efficace. Sinon, elle est abandonnée et l'on revient à la lutte armée (Mandela et la lutte contre l'apartheid).

Le rôle des médias dans la guerre


Le conflit israélo-palestinien est le conflit le plus « couvert » au monde. Une armée en guerre doit concilier deux exigences contradictoires : communiquer peu pour préserver sa liberté d'action, informer l'opinion publique pour ne pas se la mettre à dos. D'où l'importance du contrôle des médias ; facile en régime totalitaire, plus compliqué avec les  démocraties qui respectent la liberté de la presse.

En réalité, il y a de moins en moins de conflits armés dans le monde. Et ils font de moins en moins de victimes, contrairement au ressenti que chacun peut éprouver à travers les médias.

L'homme est-il guerrier par nature ?


À part les guerres à l'ancienne, des armées combattent non pas pour obtenir quelque avantage, mais au nom de la paix de populations en détresse. Ce sont des soldats de la paix.

Psychologues, et autres anthropologues s'interrogent : l'homme est-il guerrier par nature ou non ? Certains comptent sur la culture pour apaiser les instincts violents des humains.

Nos seuls moyens d'action contre la guerre sont la négociation, la dissuassion (nucléaire, avec ses risques et ses limites), et un outil non négligeable mais insuffisant : l'ONU.

L'Europe, un modèle ?


L'Europe est parvenue à stopper le cycle stérile des guerres et l'a remplacé par « un ordre international inédit ».
Cependant l'Europe unie n'est pas la cause de la paix, mais sa conséquence. Son organisation en États de droit démocratiques la préserve de nouvelles guerres (...) En effet, les démocraties font des guerres, mais ne se font jamais la guerre. (...) Ainsi, un monde organisé en démocraties libérales devrait pouvoir écarter la guerre. Une utopie peut-être, mais pour une fois à notre portée.
HH

vendredi 7 octobre 2016

Elie Barnavi, "la guerre n'est pas une fatalité"

Elie BARNAVI . - Dix thèses sur la guerre (Flammarion 2014)



Notes de lecture de H.H. La guerre comme "institution sociale et culturelle".

Historien, ambassadeur d'Israël en France de 2000 à 2002, l'auteur s'exprime en tant que citoyen et soldat : son propos est de partir, non des livres, mais de l'expérience humaine et militaire qu'il a vécue. Dans chacune des dix thèses exposées, un événement de son histoire personnelle sert de point de départ pour évoquer un point de l'Histoire.

Il y pose les questions humaines de base qui sont autant de défis éthiques, juridiques, philosophiques.

Il rappelle que l'histoire moderne d'Israël n'est qu'une longue suite de guerres."Une vieille et amère plaisanterie veut qu'Israël soit une armée qui a un État", écrit-il. La guerre fait partie intégrante de la vie des citoyens israéliens. Elle est banalisée. Alors qu'en France, la guerre "est une réalité étrange et terrible".

Après avoir participé à la première guerre du Liban, Barnavi est définitivement convaincu que l'occupation militaire "finit toujours par se retourner contre elle-même". Quant à l'utilité de l'ONU, il a cessé d'y croire...

Première thèse : "L'État moderne est né de la guerre et par la guerre en 1948, et est en train de désapprendre la guerre" (p.21s)




Depuis 1948, les guerres s'y sont succédé : Sinaï en 1956, guerre des Six-Jours en 1967, Kippour en 1973, Liban en 1982, sans compter de nombreuses opérations militaires contre les Palestiniens. Le conflit israélo-palestinien s'enrichit d'une dimension coloniale. Et actuellement, d'une dimension religieuse (cf les guerres de religion de l'Europe pré-westphalienne, 16e-17e siècles). Or,

Si on laisse faire les fous de Dieu, aucun compromis n'est envisageable. Deux mouvements nationaux peuvent aboutir à un arrangement raisonnable par la négociation, et donc le compromis ; deux mouvements intégristes en sont incapables, car la parole de Dieu ne souffre pas de compromis.


En Europe, c'est la raison d'État qui a fini par l'emporter – celle de Machiavel et Richelieu - c'est-à-dire l'État moderne, séculier par définition. La guerre a évolué : de la guerre « rationnelle » à la guerre idéologique ; de la guerre entre États à la guerre asymétrique (puissance militaire contre des organisations armées non étatiques : c'est le cas de la guerre contre les Palestiniens). "Elle revêt une forte dimension culturelle : ethnie, religion, mémoire historique" Les guerres asymétriques ne pourront se conclure que par un "règlement imposé" (ce fut le cas du Kosovo).



Barnavi observe le rôle « formateur » de la guerre :

Mieux que modeler les frontières, elle détermine le caractère des États : absolutisme de droit divin français ou monarchie parlementaire anglaise, jusqu'à ce que les traités de Westphalie de 1648 consacrent le triomphe de l'État territorial et mettent en place les conditions d'un ordre européen fondé sur l'équilibre des puissances.

La donne change au sortir de la seconde Guerre Mondiale : "La démocratie naît armée. La Liberté et la Nation sont des divinités autrement plus exigeantes que la raison d'État".


Pour en revenir au conflit israélo-palestinien, Barnavi observe qu'il n'y est pas question de victoire ou de défaite. Ce qui compte est "l'opinion publique, et surtout celle de l'ennemi. Le vrai champ de bataille est la presse. Militairement, le terrorisme n'est rien ; comme moyen de propagande, il est suprêmement efficace".Israël, à défaut de perdre la guerre contre les Palestiniens, du moins ne la gagne pas...



Deuxième thèse : "La guerre est une expérience humaine extrême, laquelle requiert un conditionnement psychologique puissant de chacun des individus qui est appelé à y participer." (p.37s)




"En Israël, l'armée est omniprésente, elle fait corps avec la nation. Tout le monde a été, est et sera soldat. L'armée imprègne les mentalités et le langage". Barnavi fera son service dans une unité d'élite, les paras. Là, on lui inculquera l'esprit de corps, "première étape du conditionnement psychologique du soldat". Il y apprendra que l'humiliation et les brimades systématiques sont le prix à payer pour franchir chaque étape de sa formation. L'objectif : "transmuter le civil en soldat et en faire une machine à tuer".



C'est alors que la guerre devient une réalité concrète, il va falloir affronter sa peur devant le danger. Le caractère de chacun s'y révèlera : les lâches, les héros, les sadiques...



Pour finir, Barnavi cite un essai de deux médecins militaires, Louis Huot et Paul Voivenel, « La psychologie du soldat » (1918) : La guerre, c'est bien « cet englobement immédiat et sans restriction des individualités »



Troisième thèse : "La guerre est une expérience collective extrême, qui requiert une organisation sociale et un conditionnement politique adéquats". (p.49s)




Une société en guerre a besoin d'être en osmose avec la société. Ce militarisme sociétal et culturel est associé à "un nationalisme ombrageux et exclusif. Il peut même s'accommoder d'une culture politique de gauche", ce qui le fut le cas en Israël, où l'armée se devait de tenir en permanence ses ennemis en respect.



En Israël, pour des raisons démographiques, il n'y a jamais eu d'armée de métier. Les officiers de carrière sont tous « sortis du rang ». Le service universel a été dicté aussi par l'idéologie sioniste des origines : "la figure idéale du Juif nouveau était le paysan-soldat".



Barnavi élargit sa réflexion au-delà du cas spécifique d'Israël : si la carrière militaire est prestigieuse, c'est parce que la défense du pays est considérée comme la tâche la plus noble (d'ailleurs dévolue aux nobles dans la France de l'Ancien Régime).



Il observe aussi que maintenant la guerre n'est plus le « fait du prince ». Les démocraties libérales se doivent de leur donner un argument légitime aux yeux de la société : elle est devenue idéologique. Dans le cas d'Israël, "démocratie la plus guerrière de notre temps avec les États-Unis" : le gouvernement évite de lancer des guerres auxquelles l'opinion israélienne est hostile (par exemple contre l'Iran).



Quatrième thèse : "Ce conditionnement collectif et individuel est fonction de la culture politique ambiante". (57)




La porosité entre société et armée génère un esprit particulier formateur d'une culture sociale et politique spécifique au peuple d'Israël.

L'impératif de défense face à un environnement hostile et l'idéologie sioniste de l'' « homme juif nouveau » se sont combinés pour produire un ethos pédagogique où le culte d'un passé ancien héroïsé est censé effacer les tares aliénantes et humiliantes du ghetto.(...) L'apprentissage de la Bible sans esprit critique est de la dynamite.

Aux débuts travaillistes de l’État d'Israël, l'armée se situait largement à gauche (forte présence des kibboutzim). Puis le Likoud domine à partir de 1977. L'idéologie sioniste séculière s'affaisse. Le néo-sionisme religieux se répand. Le mouvement national juif, autrefois très minoritaire, monte en force avec la colonisation des territoires occupés.

L'armée aurait-elle viré à droite ? En fait, à l'image de la société globale, au moins deux conceptions opposées de l'armée et de la guerre cohabitent désormais au sein de Tsahal. Elles relèvent de visions du monde incompatibles. Pour l'une, toujours majoritaire – pour combien de temps - l'' « armée du peuple » est et doit rester séculière, intégrative et soumise au pouvoir civil. Pour l'autre, issue des yeshivot (académies talmudiques) du courant religieux-national, l'armée est certes « du peuple » mais celui-ci n'est pas souverain. Dieu seul est souverain, sa Torah est sa Constitution et les rabbins sont ses interprètes.

D'où la propagande diffusée par les religieux au sein de l'armée : "sainteté et intégralité de la Terre d'Israël, donnée une fois pour toutes en héritage inviolable, et obligation de traiter les ennemis d'Israël selon l'injonction biblique d' « exterminer Amalek"



Ces deux visions antagoniques au sein d'une même force armée risquent de s'avérer dramatiques, le jour où il faudra rétrocéder la « Judée-Samarie ». C'est la culture politique d'une société en état de guerre permanente. C'est une culture de guerre, tant que la guerre est perçue comme vitale pour la survie du groupe.

La peur n'est pas étrangère à la culture de guerre, mais la culture de guerre ne se réduit pas à la peur.   En démocratie, la culture de guerre ne survit pas à la guerre. (ex. : en France)

 

Cinquième thèse : "C'est ce double conditionnement, individuel et collectif, qui créé une atmosphère dans laquelle la violence devient possible ; mieux : acceptable" (73)




En guerre, il devient licite de tuer son semblable : la guerre porte en elle une « barbarisation » des comportements humains : déshumanisation de l'ennemi, déchaînement de la violence contre les populations civiles.

Des lois de la guerre prétendent y introduire un peu d'humanité. Mais une sorte d'accoutumance à la tuerie de masse des deux guerres mondiales a préparé les esprits aux génocides à venir.

Sixième thèse : "Si la guerre de religion est souvent une guerre civile, toute guerre civile s'apparente à une guerre de religion" (79)




Voir les ultra-religieux, prêts à prendre les armes contre leur concitoyens israéliens pour parvenir à la domination totale des Juifs entre la mer et le Jourdain. Et pourtant :

Dans la littérature rabbinique comme dans la mémoire collective, la catastrophe majeure qu'a constituée la destruction du Second Temple par les Romains, en 70 de l'ère commune, a été engendrée par la « haine gratuite » entre Juifs, autrement dit la guerre civile qui faisait rage entre les diverses factions des insurgés... Lire La Guerre des Juifs, par Flavius Josèphe, acteur et témoin des événements, au moment même où les légionnaires de Titus assiégeaient Jérusalem... Suite à ce cataclysme et durant près de 20 siècles, le peuple dispersé et privé d'Etat n'aura ni le goût ni les moyens de se livrer aux conflits fratricides.

 
Cette situation a duré jusqu'aux accords d'Oslo.

Actuellement, deux conceptions de l'État et du sionisme se font face : l'une est nationale, séculière et voit dans l'Etat et la terre où il s'est installé de haute lutte les outils de la normalisation de l'existence juive. (Yitzhak Rabin) ; l'autre est messianique, et sa vision du monde est celle qu'enseignent les rabbins du courant religieux-national : la démocratie est une invention « grecque », autrement dit impure et étrangère à l'esprit du judaïsme, qui est, lui, fondé sur la triple alliance entre Dieu, le Peuple et la Terre. Aussi bien, la Terre d'Israël est sacrée, aucune parcelle ne doit en être aliénée aux Gentils, celui qui s'y risque doit le payer de sa vie.(Yigal Amir)

 
Cependant, malgré la possibilité de brusques accès de violences, une guerre civile est improbable en Israël.

Il n'y a pas de guerre civile sans État. L'histoire de la guerre civile suit celle de la constitution des États. Phénomène européen du 16e au 18e siècle, la guerre civile s'étend au rythme même de son appropriation par des sociétés extra-européennes, cependant qu'elle disparaît progressivement en son lieu de naissance... On en compte trois avant la Seconde Guerre Mondiale : les guerres civiles russe (1918-1921), irlandaise (1922-1923) et espagnole (1936-1939). Une après : la guerre civile grecque (1946-1949), et une allumée par la dislocation de la Yougoslavie, de 1191 à 2002, qui a tourné au conflit entre États. Mais on compte une bonne vingtaine de guerres civiles dans les États successeurs des empires coloniaux, notamment en Afrique, au Proche-Orient et au Moyen-Orient.


Le plus souvent, le conflit, pour interne qu'il soit, "s'enrichit d'une dimension internationale, chaque partie disposant d'un ou plusieurs protecteurs extérieurs. Tout concourt à impliquer des puissances qui trouvent dans la tourmente de quoi assouvir leurs propres ambitions et servir leurs propres intérêts". 

Toute guerre civile se vit comme une entreprise d'assainissement du corps social, de purification, d'avènement. Toute guerre civile relève du sacré. (Exemple : La Réforme). Les protagonistes font des textes sacrés une lecture politique militante, la religion se mue en idéologie politique de combat.

La sécularisation des esprits (« crise de la conscience européenne » selon Paul Hazard) rendra obsolète la guerre civile au nom de la religion. D'autres principes l'emportent : la Nation, la République, la Démocratie, la Classe.

 
Avec le progrès, les affrontements civils prennent des proportions tragiques et font des millions de victimes.

De même qu'il existe une culture de guerre qui précède la guerre, il existe une culture de la guerre civile qui accompagne, entretient et justifie la guerre civile.(Lénine théorise la violence révolutionnaire accoucheuse d'un monde nouveau)

 
Mais les conditions sont à nouveau réunies pour de nouvelles « vraies » guerres de religion :

  • guerres opposant deux religions entre elles (musulmans et juifs au Proche-Orient, sunnites et chiites au Liban), et relevant plutôt du terrorisme
  • conflits, au sein d'une même religion : les orthodoxes contre un pouvoir jugé corrompu et mécréant, tels les sionistes messianiques en Israël. L'objectif : assurer les frontières du Grand Israël, et imposer un État régi par le droit religieux juif, la halakha, voire restaurer la royauté. (Pour les musulmans : imposer un État régi par la charia, droit religieux musulman, et restaurer le califat)


Septième thèse : "Toute tentative de moraliser la guerre est vouée à l'échec, pour la bonne raison que mettre à mort ses semblables ne saurait être une entreprise morale. Plutôt que la morale, mieux vaut donc invoquer le droit" (97)


Asaz Kasher, professeur de philosophie à l'université de Tel Aviv, a rédigé un code éthique de l'armée israélienne « L'esprit de Tsahal » :

Les soldats de Tsahal ne recourront à leurs armes que dans le cadre de leurs missions et seulement en cas de nécessité, et conserveront une attitude humaine même durant le combat. Ils n'utiliseront pas leurs armes pour porter atteinte à des êtres humains qui ne sont pas des combattants ou à des prisonniers de guerre, et feront tout pour éviter de porter atteinte à leurs vie, corps, dignité et biens.

 
Inapplicable et inappliqué.

Postulat de toute campagne guerrière :"La guerre que je mène est toujours juste, et injuste celle qu'on mène contre moi." Certaines guerres sont justes (se débarrasser d'Hitler)

Mieux vaut invoquer le droit. Cicéron déjà, avec De officiis,; Hugo Grotius au 17e siècle, distinguant le droit à la guerre du droit dans la guerre et du droit à la sortie de la guerre. "La cause doit être juste et les moyens utilisés sélectifs et proportionnels."

Après le génocide de la seconde guerre mondiale, les procès de Nuremberg ont suscité "une prise de conscience et une jurisprudence qui ont permis l'éclosion d'un droit des gens humanitaire, dont les divers tribunaux internationaux contemporains sont l'émanation".

Le droit international humanitaire ne vise pas à moraliser la guerre, mais à

la civiliser et l'humaniser : traiter correctement les prisonniers, distinguer entre combattants et population civile et protéger celle-ci du conflit, interdire les armes de destruction massive, et en dernier ressort, juger dans des tribunaux spéciaux les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité...En 2005, l'ONU adoptait une résolution instaurant la responsabilité des États de protéger leurs populations, et la communauté internationale doit aider les gouvernements et prévenir, au besoin par la force, les crimes les plus atroces – génocide, nettoyage ethnique, crimes de guerre et contre l'humanité.

 
Cette conception rencontre deux types d'adversaires :
  • ceux qui pensent que les pays extérieurs ne doivent pas se mêler de ces conflits
  • ceux qui pensent que la guerre, mal absolu, n'est jamais la solution.(Exemple de résultat du refus de toute intervention : favoriser l'afflux des djihadistes qui profitent de la non-intervention.)
Les détracteurs des cours spéciales accusent une "justice des vainqueurs", déplorent leur incapacité à juger tous les criminels et le fait qu'ils sont trop souvent issus du tiers ou du quart-monde. Mais ces pays sont ceux où dominent les conflits armés et les violations des droits de l'homme. Enfin ces cours spéciales empoisonneraient les relations internationales.

Les défenseurs du droit international soulignent que ces cours permettent de mettre le holà à l'impunité dont jouissent les criminels de guerre. C'est déjà un progrès.

Huitième thèse : le pacifisme est précisément la doctrine du rejet de la distinction entre guerre juste et injuste, et, partant, de toute forme de violence (105)


Le refus intégral de la violence ne peut apporter la paix, il est l'acquiescement aux débordements des méchants (ex. : Hitler).  

Le pacifisme, c'est la paix à tout prix... Le seul critère pertinent pour évaluer le pacifisme reste celui de l'efficacité.


Si le terme pacifisme est récent (Emile Arnaud, juriste français, 1864-1921), le concept est ancien. Ses racines sont religieuses (bouddhisme, jaïnisme, christianisme...). Mais les textes fondateurs ne sont pas vraiment pacifistes : la Bible hébraïque, le Talmud...

Les Juifs, privés d'État et donc de l'épée, n'ont pas versé le sang tout au long de leur exil. Les chrétiens ont fait et font la guerre. On fait dire aux Écritures ce qu'on veut. La tradition humaniste s'est développée au cours des siècles (quakers anglais, puis Érasme, Fénelon au siècle des Lumières...)

Parallèlement, les projets d'union européenne se multiplient à partir du début du 18e siècle.Puis la passion pacifiste est ravivée par les guerres napoléoniennes. Les femmes, considérées comme pacifiques par nature, y prendront un rôle croissant. Seront créées une Ligue féminine en faveur de la paix et de l'union des peuples, et une Alliance universelle des femmes pour la paix.

Une véritable idéologie politique du pacifisme naît au tournant du 20e siècle avec le mouvement socialiste européen. La guerre est considérée comme une machination des classes possédantes, le rejeton monstrueux du capitalisme, la manifestation ultime du chauvinisme.

Mais en 1914, Jaurès est assassiné. Le lendemain, commence la mobilisation. Le nationalisme l'a emporté sur le pacifisme. C'est l'horreur des tranchées qui refait surgir le pacifisme : l'opinion se rallie au cri de « Plus jamais ça ».



Malgré une seconde guerre vingt ans plus tard, le pacifisme survit.

En réaction aux tueries de masse qui se sont produites sur son sol, par ailleurs déresponsabilisée par l'organisation bipolaire du monde issue de la Seconde Guerre Mondiale et culpabilisée par ses guerres coloniales, l'Europe tout entière est peu ou prou devenue pacifiste.

 
Pour limiter les morts inutiles, les USA utilisent des drones. En France, l'opinion est de plus en plus réticente à la guerre.On ne peut que constater l'impasse du pacifisme intégral.

La non-violence (Gandhi) peut se révéler efficace, quand les circonstances lui sont favorables. Parfois au contraire, la non-violence est abandonnée et l'on recourt à la lutte armée (Mandela et l'apartheid).

Au mieux, le pacifisme a sauvé l'honneur de la race humaine. Au pire, comme au lendemain de la Grande Guerre, il a atrophié les défenses des démocraties et facilité la tâche de ses ennemis.

Neuvième thèse : "La presse est tantôt le suppôt des guerres, tantôt leur pire adversaire" (121)




Le conflit israélo-palestinien est le plus « couvert » du monde, avec la plus forte densité de correspondants étrangers. La censure militaire existe, mais elle est largement impuissante, face aux smartphones des badauds. Au Proche-Orient comme ailleurs, tout le monde comprend désormais l'importance de la presse.

Quel est le rôle de la presse dans les guerres modernes ? Pour les chefs militaires, elle est à la fois une nuisance à neutraliser et un atout à exploiter. Dans le feu de l'affrontement, elle joue tantôt un rôle d'accélérateur, tantôt un rôle de frein. Dans de nombreux cas la présence des journalistes a plutôt épargné des vies : on tue plus difficilement sous l'oeil des caméras.

Toute armée en campagne fait face à 2 exigences contradictoires : préserver sa liberté d'action, et donc le maximum de secretn et s'assurer la sympathie de l'opinion publique, locale et internationale, et donc le maximum d'information.



D'où l'importance du contrôle des médias (pas de problème en régime totalitaire). Dans les démocraties (liberté de la presse, absence de censure), les relations entre pouvoir et journalistes sont plus complexes. Les armées des pays démocratiques ont appris à maîtriser leur communication. Les forces de défense ont leurs sites officiels : l'armée est devenue sa propre agence de communication. "La guerre est redevenue ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : la continuation de la politique par d'autres moyens".



Dixième thèse : "La guerre n'est pas une fatalité humaine" (133)




En réalité, il y a de moins en moins de conflits armés de par le monde. Et ils font de moins en moins de victimes. Des troupes en mission agissent non pas pour obtenir quelque avantage, mais au nom de la paix de populations en détresse. Ce sont des "soldats de la paix"..

Mais les mobiles des anciennes guerres existent encore (Poutine et la Crimée). L'homme serait guerrier, car violent par nature :

Les biologistes évolutionnistes expliquent que la guerre serait constitutive de la nature humaine, qu'elle aurait même joué un rôle non négligeable dans l'évolution de notre espèce. Sans guerre, pas d' Homo sapiens... Les anthropologues constatent que les groupes humains ont besoin d'un ennemi extérieur pour assurer leur cohésion.

 
Pour d'autres, la guerre serait plutôt une institution sociale et culturelle, et donc soumise aux aléas de l'Histoire.

On ne pourra pas compter sur le progrès de l'esprit humain par la culture, car la guerre est aussi un fait de culture.

La solution réside dans une organisation pratique des sociétés humaines qui rende la guerre impossible, voire inconcevable.


Les seuls outils dont nous disposons sont :
  • la négociation
  • la dissuassion, notamment nucléaire avec ses risques et ses limites
  • le rôle, non négligeable mais insuffisant, de l'ONU

La véritable solution est à chercher en Europe. Elle a cassé le cycle stérile des guerres, qu'elle a remplacé par un ordre international inédit.... Cependant l'Europe unie n'est pas la cause de la paix, mais sa conséquence. Son organisation en États de droit démocratiques la préserve de nouvelles guerres... Les démocraties libérales font la guerre, mais ne se font jamais la guerre... Ainsi, un monde organisé en démocraties libérales devrait pouvoir écarter la guerre... Une utopie, peut-être, mais pour une fois à notre portée.


Notes prises par H.H. 

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  • Autre lecture, de M. Bergeron, sur Diploweb.com : Lien
  • Notice Wikipédia sur Élie Barnavi : Lien
  • Elie Barnavi en 2012 dans "A voix nue", cinq émissions de 30 min. sur France Culture : Lien1 - Lien2 - Lien3 - Lien4 - Lien5