mardi 25 octobre 2016

BARNAVI, une synthèse des "Dix thèses sur la guerre"

par HH

Dans Dix thèses sur la guerre (Flammarion, 2014), Élie Barnavi livre ses réflexions sur la manière dont la guerre s'inscrit dans l'Histoire d'Israël. Ce peuple resté sans État – et donc sans armée – depuis la destruction du second Temple par les Romains, n'est devenu un peuple guerrier que depuis 1948, date de la création de l'État d'Israël.

Ce récent conditionnement à la guerre s'est construit à plusieurs niveaux :
  • un conditionnement individuel : tout Israélien passera par l'armée. « L'armée fait corps avec la nation (…), elle imprègne les mentalités et le langage ».
  • Un conditionnement collectif, hérités des premiers sionistes pour qui « la figure idéale du Juif nouveau était le paysan-soldat. »
Ce formatage génère une culture sociale et politique spécifique à Israël. Et c'est cette culture qui créé une atmosphère où la violence devient possible, et même acceptable.Car les religieux ultra-orthodoxes, au sein de l'armée, diffusent leur propagande : la Terre d'Israël a été donnée aux Juifs par Dieu, et les ennemis d'Israël doivent être exterminés (l'injonction biblique : « exterminer Amalek »).

Des guerres de religion


Une composante importante du conflit est donc la religion. Deux conceptions de l'État et du sionisme s'affrontent : celle d'Yitzhak Rabin, « nationale, séculière, voit dans l'État et la terre où il s'est installé de haute lutte les outils de la normalisation de l'existence juive. » Celle de son assassin, Yigal Amir : messianique, rejetant la démocratie qui est « une invention « grecque », autrement dit impure et étrangère à l'esprit du judaïsme qui est lui, fondé sur la triple alliance entre Dieu, le Peuple et la Terre. La Terre d'Israël est sacrée, aucune parcelle ne doit en être aliénée aux Gentils, celui qui s'y risque doit le payer de sa vie. »

Élie Barnavi élargit sa réflexion en puisant dans l'Histoire du monde et de ses guerres. Selon lui, au fil des siècles « la sécularisation des esprits (crise de la conscience européenne selon Paul Hazard) rend obsolète la guerre civile au nom de la religion. D'autres principes l'emportent : la Nation, la République, la Démocratie, la Classe. »

Pourtant, les conditions actuelles semblent à nouveau réunies pour de « vraies » guerres de religion. Ces guerres opposent deux religions entre elles (par exemple musulmans et juifs au Proche-Orient), relevant plutôt du terrorisme. Elles peuvent être aussi un conflit au sein d'une même religion, par exemple les sionistes messianiques en Israël, qui s'opposent à un pouvoir jugé corrompu et mécréant. Objectif : assurer les frontières du Grand Israël et imposer un État régi par le droit religieux juif, la « halakha », voire restaurer la royauté. Pour les musulmans : imposer un État régi par la charia, droit religieux musulman, et restaurer le califat.

Guerre juste, guerre de droit


Par définition, la guerre ne saurait être morale. A défaut, elle peut être juste (exemple : pour se débarrasser d'Hitler) mais le postulat de toute campagne guerrière affirme : « la guerre que je mène est toujours juste, et injuste celle qu'on mène contre moi. » Par conséquent, et à défaut de morale, mieux vaut invoquer le droit. Alors se dégagent des principes essentiels : la cause doit être juste, et les moyens utilisés sélectifs et proportionnels.

Les drames de l'Histoire ont provoqué une prise de conscience (les procès de Nuremberg) et une jurisprudence qui ont abouti à créer un droit humanitaire, dont les tribunaux internationaux sont l'émanation. En 2005, une résolution de l'ONU instaurait la responsabilité des États de protéger leurs populations, et l'obligation de la communauté internationale d'aider les gouvernements et de prévenir, au besoin par la force, les crimes de génocide, nettoyage ethnique, crimes de guerre et contre l'humanité.

S'opposent à cette conception ceux qui pensent que les pays extérieurs ne doivent pas se mêler de ces conflits, et ceux qui estiment que la guerre, mal absolu, n'est jamais la solution.

Qu'en est-il du pacifisme ?


Selon Élie Barnavi, le pacifisme, refus intégral de la violence, ne peut qu'encourager les débordements des méchants. L'Histoire a suscité des projets humanistes : Quakers anglais, puis Érasme, Fénelon au Siècle des Lumières... Parallèlement, des projets d'union européenne se multiplient dès le début du 18e siècle. Les guerres napoléoniennes ravivent la passion pacifiste. Les femmes, considérées comme pacifiques par nature, y joueront un rôle croissant.

Une véritable idéologie politique du pacifisme naît au tournant du 20e siècle avec le mouvement socialiste européen. Mais en 1914, dès le lendemain de l'assassinat de Jaurès, commence la mobilisation. « Le nationalisme l'a emporté sur le pacifisme.» C'est l'horreur des tranchées qui réveille le pacifisme, avec ce cri de l'opinion : « Plus jamais ça ! » - ce qui n'empêchera un second conflit vingt ans plus tard -.

Une alternative au pacifisme : la non-violence (Gandhi) peut se révéler efficace. Sinon, elle est abandonnée et l'on revient à la lutte armée (Mandela et la lutte contre l'apartheid).

Le rôle des médias dans la guerre


Le conflit israélo-palestinien est le conflit le plus « couvert » au monde. Une armée en guerre doit concilier deux exigences contradictoires : communiquer peu pour préserver sa liberté d'action, informer l'opinion publique pour ne pas se la mettre à dos. D'où l'importance du contrôle des médias ; facile en régime totalitaire, plus compliqué avec les  démocraties qui respectent la liberté de la presse.

En réalité, il y a de moins en moins de conflits armés dans le monde. Et ils font de moins en moins de victimes, contrairement au ressenti que chacun peut éprouver à travers les médias.

L'homme est-il guerrier par nature ?


À part les guerres à l'ancienne, des armées combattent non pas pour obtenir quelque avantage, mais au nom de la paix de populations en détresse. Ce sont des soldats de la paix.

Psychologues, et autres anthropologues s'interrogent : l'homme est-il guerrier par nature ou non ? Certains comptent sur la culture pour apaiser les instincts violents des humains.

Nos seuls moyens d'action contre la guerre sont la négociation, la dissuassion (nucléaire, avec ses risques et ses limites), et un outil non négligeable mais insuffisant : l'ONU.

L'Europe, un modèle ?


L'Europe est parvenue à stopper le cycle stérile des guerres et l'a remplacé par « un ordre international inédit ».
Cependant l'Europe unie n'est pas la cause de la paix, mais sa conséquence. Son organisation en États de droit démocratiques la préserve de nouvelles guerres (...) En effet, les démocraties font des guerres, mais ne se font jamais la guerre. (...) Ainsi, un monde organisé en démocraties libérales devrait pouvoir écarter la guerre. Une utopie peut-être, mais pour une fois à notre portée.
HH

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