vendredi 30 janvier 2015

Actualité de Marx, Sur la question juive

 
Un billet de PERMI4 

Dans l’édition en 1968 de La Question juive dans la collection 10/18, ouvrage traduit par Jean-Michel Palmier, on constate de curieuses différences avec la version originale en allemand, disponible en regard de la traduction de Marianna Simon dans l’édition du même ouvrage chez Aubier-Montaigne en 1971. 

Ainsi la fin de la 1ère partie de l’ouvrage de Marx, de 10 lignes en allemand (et dans sa traduction en français), se trouve résumée en 4 lignes en 10/18. Je ne préjuge pas ceci dit de l’ensemble du texte. L’intérêt toutefois de cette édition est de comporter l’écrit de Bruno Bauer, objet de la controverse de Karl Marx. De son côté, l’intérêt de l’édition Aubier est de comporter une introduction d’une trentaine de pages de François Châtelet situant le débat et ses protagonistes dans l’histoire de l’époque, aussi bien politique que philosophique. A propos d’introductions, celle de François Châtelet (Aubier) comme celle de Robert Mandrou (10/18) s’ouvrent toutes deux, sur « l’actualité inquiétante » d’un antisémitisme toujours persistant qui incite à la (re)lecture de La Question juive.

Serait à lire et méditer la page 36 de l’introduction de François Châtelet ainsi rédigée :
B[runo] Bauer se trompe : l’opposition entre Juifs et chrétiens n’a pas de solution constitutionnelle, c’est-à-dire étatique (la laïcité est un médiocre remède). La solution ressortit à l’ordre économique : il s’agit de savoir qui détient la propriété, le pouvoir gouvernemental et qui, de ce fait, est capable d’imposer son idéologie ; celle-ci, circonstantiellement, peut jouer de la laïcité, mais elle est incapable d’enfreindre les principes qui règlent sa production et son fonctionnement. Quelle que soit la bourgeoisie qui détient le pouvoir économique et politique, quelque constitution qu’elle applique ou préconise, elle est incapable de promouvoir une émancipation réelle ; entre autres, l’émancipation religieuse.
Souligné (par moi) ici le concept de laïcité dont la portée est relativisée par l’auteur; car, et c’est là l’actualité de cette réflexion, n’est-on pas, plus que jamais aujourd’hui et plus encore que dans les années 70 (avant le « choc pétrolier », durant les prétendues « trente glorieuses ») face à des gouvernements s’accusant à tour de rôle d’idéologiser alors qu’on prétend, depuis la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’empire soviétique, que les idéologies sont mortes. Or, de facto, place a été laissée à un capitalisme triomphant devant lequel plie le pouvoir des gouvernements partiellement désarmés et celui d’États que certains voudraient voir réduits aux seuls pouvoirs régaliens, afin d’y développer plus largement leur assise. 

Comment envisager l’émancipation de quiconque dans une telle situation où règne le pouvoir de l’argent à tout (et n’importe quel) prix ? N’est-ce pas cette condition d’asservissement, que dénonce Karl Marx dans son ouvrage, à laquelle on retourne? Et comment appuyer la valeur de la laïcité sur une telle faiblesse de nos gouvernants à donner un cap à nos sociétés, qui ne se trouvent plus condamnées qu’à réagir à l’événement, hors les foyers de résistance à cette désagrégation sociale aptes à ranimer ici et là les volontés? Et comment empêcher, dans un tel désarroi, que le pire advienne désormais ? 

Telle sont, parmi les multiples autres, les questions qui se posent aujourd’hui.
PERMI4 
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