lundi 4 avril 2016

René Girard, les limites d'une pensée

Jean-Daniel Causse, professeur au département de psychanalyse de Montpellier 3, résume dans un entretien à l'hebdomadaire Réforme (12 nov.2015), les points forts et les faiblesses de la pensée de René Girard.

1.Le désir mimétique

Cette vision du désir, comme désir de ce que l'autre visible apprécie - désir du désirable - est féconde, certes. Mais d'une part, ce concept est loin d'ouvrir toutes les portes. Prétendre qu'il permet une interprétation générale de la réalité n'a pas de sens. D'autre part,
L'approche girardienne du désir me paraît un peu rapide. Il est indéniable qu'il existe une dimension mimétique dans le désir, mais on en reste ici à un imaginaire, un jeu de miroir, un jeu du double. Or dans le désir, il y a le désir de l'Autre [...] La source de notre désir est toujours plus vaste, plus large, plus complexe, que le seul rapport au semblable [...] Il ne s'épuise pas dans la rivalité mimétique, mais il est aussi le désir d'être reconnu par un Autre que soi-même.[...] En réalité..., le désir n'a pas d'objet |...] Ce que le désir désire, c'est de pouvoir continuer à désirer, donc à être vivant.

2. La figure du bouc émissaire

Ce qui est en jeu, en réalité, c'est plus largement que le dispositif du bouc émissaire, "la façon dont chaque société expulse sa propre violence, sa rivalité mimétique, en cherchant des exutoires, des manières de l'expurger."
Chaque société a toujours eu à réguler la violence par des rites, des processus de sublimation, des interdits culturels, mais aussi par des sacrifices.

3. La singularité du christianisme

René Girard reste enfermé dans une interprétation sacrificielle de la mort du Christ, ce qui est loin de rendre compte de toutes les lectures déjà présentes dans le Nouveau Testament. S'il y a dans le christianisme antique une sortie du sacrifice, c'est aussi pour bien d'autres raisons liées à l'histoire des sociétés.
On peut se demander  si le principe sacrificiel, même une fois dénoncé, ne perdure pas, et si le désir mimétique ne reste pas ancré au coeur de l'humain [...] Toute culture ne peut qu'organiser la gestion de la violence. Il y a de l'incurable. Il y a ce qui ne disparaît pas. Il y a des processus culturels, des symbolisations, des processus langagiers. Comment le christianisme opère-t-il dans une histoire humaine qui restera traversée par des conflits et des logiques du sacrifice ? 
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  • J.-D. Causse, page universitaire : Lien
  • "La psychanalyse a-t-elle encore quelque chose à nous dire ?", conférence de H. Rey-Flaud à l'université de Montpellier présentée par J.-D. Causse (vidéo 2011, 60 min.): Lien

1 commentaire:

  1. Régis Debray, dans un monologue d’une heure tiré de sa série « Allons aux faits » et titré « L’histoire des idées et ses injustices » (2ième de cinq émissions « Croyances historiques » diffusées sur France Culture du 4 au 8 juillet) tend à démontrer comment « la fabrique de l’histoire des idées opérant, depuis l’aube des temps, sous des contraintes parfaitement repérables, qui veut s’y faire une place se doit de les respecter.» (repris de l’intro à l’émission)

    Il va notamment, pour exemplifier son propos et montrer quelques-unes de ces contraintes, comparer – et ceci avec un art consommé d’une rhétorique riche en références culturelles tous-azimuts – l’impact médiatique qu’a eu la mort de deux intellectuels décédés à l’automne 2015 : René Girard d’une part, et le philosophe François Dagognet (1924-2015) d’autre part. Le premier, dont le nom fut même entendu à l’occasion au journal de TF1 précise-t-il malicieusement, et le second qui n’eut droit qu’à quelques nécrologies peu disertes (accessibles en ligne pour certaines).

    Le propos dépasse le cas particulier des personnalités mentionnées mais sert il va de soi la pensée du médiologue. Celui-ci montre à travers eux comment se met en avant (verbe actif, et pas seulement « est mise » en avant) dans l’actualité (de durée variable) de notre monde d’aujourd’hui, une production intellectuelle, le sine qua non en quelque sorte de la manifestation publique de son auteur : se pourvoir d’un logo (la théorie mimétique), recevoir le nihil obstat d’une université américaine (Stanford pour Girard mort en Californie, Lyon III et Paris I pour Dagognet mort à Avallon, Yonne) et, pour finir, nec plus ultra, se voir revêtu de l’habit vert et comparé, excusez du peu, à Darwin et Einstein.

    Question posée par Régis Debray : qu’en restera-t-il de tout cela en 2116 ?
    « Il n’y a pas de plan media pour sortir de sa tombe » dit-il, et de citer Stendhal : « A vouloir vivre avec son temps on meurt avec son époque ».

    Laissons l’avenir venir et qui vivra verra, comme dit la chanson.

    http://www.franceculture.fr/emissions/allons-aux-faits/croyances-historiques-25-l-histoire-du-politique-et-ses-leitmotiv?xtmc=regis%20debray%20croyances%20historiques&xtnp=1&xtcr=2

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