Pour vivre, il convient donc de savoir oublier. Mais de quel oubli ? L'effacement du souvenir ? Certes non ! Le pardon ? Mais le pardon, s'il y a lieu de pardonner (ce qui suppose un face-à-face, et une demande, de quelque façon), est l'instauration ou la restauration d'une relation. Si donc il n'y a pas lieu de pardonner, il y a toujours lieu d'oublier. Mais de quel oubli, encore une fois ?
D'abord, je ne peux oublier pour les autres, je ne le peux que pour moi. Puis la violence a eu lieu, elle me vise et m'atteint encore, rien ne peut faire qu'elle n'ait pas eu lien et qu'elle sorte de ma mémoire. Je ne l'évacue pas, par conséquent, elle est dans ma mémoire, mais je n'en fais pas mémoire. Je la tiens à distance, je la concède à quelque canton de ma mémoire, considérant que ma mémoire est plus grande, plus vaste que ma douleur, toute ineffaçable qu'elle soit. Ou bien encore j'en fais mémoire à point nommé, rituellement, afin d'en alléger ma mémoire. La présence qu'elle garde ainsi est suffisante pour me modifier - donner moins forte prise, à l'avenir, à une telle violence - pour m'en protéger, donc, voire pour en protéger autrui.
Chema Israël... ne serait-ce pas là une image grandiose de cet oubli la mémoire juste que nous cherchons à cerner ? Souviens toi d'un seul Maître, le Nom. Souviens-toi d'oublier les nourritures réconfortantes de la captivité, les images rassurantes des dieux de Canaan, et de mettre douleur et chagrin à leur juste place. Souviens-toi de ta sortie de l'esclavage et de ta grande liberté, et fais-en mémoire à tes fils et aux fils de tes fils. Le devoir de mémoire, ce serait donc essentiellement la nécessité du témoignage - témoignage de la nécessité - le Maître n'est pas moi : souviens-toi de garder ta mémoire sans l'amoindrir, sans l'effacer, mais en l'assignant à sa juste place. Souviens-toi de vivre plus d'un instant, et souviens-toi - en ce sens - d'oublier, car tu as une histoire à vivre.
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