dimanche 25 octobre 2015

Camus et l'idéal "manuel de bonheur" d' 'Oberman', de Senancour

On ne découvre pas l'absurde sans être tenté d'écrire quelque manuel du bonheur. Eh ! quoi, par des voies si étroites... ? " Mais il n'y a qu'un monde. Le bonheur et l'absurde sont deux fils de la même terre. Ils sont inséparables. L'erreur serait de dire que le bonheur naît forcément de la découverte absurde. Il arrive aussi bien que le sentiment de l'absurde naisse du bonheur.
Ce passage célèbre du Mythe de Sisyphe (1942), d'Albert Camus, a un tour énigmatique. Le lecteur se demande en particulier quel est ce "manuel de bonheur" que l'on pourrait être tenté d'écrire, à l'instant où l'on prend conscience que la requête d'un sens positif de l'existence humainerestera à jamais sans réponse. Et à l'exemple de quel grand prédécesseur alors conviendrait-il alors de procéder ?

Or la génération d'Albert Camus lit encore Oberman; ce roman d’Étienne Pivert de Senancour paru dans son premier état en 1804. Ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui, hors les raisons académiques. Dommage, car cet ouvrage méditatif et lent, tout éclairé des paysages de la Suisse visités successivement, figure en France parmi les monuments du premier romantisme, avec ceux de René de Chateaubriand et de Germaine de Staël notamment.

Ces quelque quatre-vingts dix lettres d'un voyageur à un ami développent le thème de l'exil. Le narrateur se sent étranger au monde, un monde dont la signification semble constamment se refuser à la requête de l'homme de bonne foi. Un climat qui n'est pas sans évoquer tant soit peu L’Étranger de Camus...

L'étonnant est que précisément l'échange épistolaire qui fait le roman donne prétexte tout-à-coup à la présentation d'un "manuel de bonheur" ! Plus exactement, un court pastiche de l'antique intitulé par l'auteur "Manuel de Pseusophanes". On trouve ce morceau dans la Troisième année, Lettre XXXIII datée de Paris, 7 mai An III (17 mai 1795). Date qui nous reporterait à la 25 e année de Senancour.


On ne peut rien conclure de cette rencontre troublante à plus d'un siècle de distance. Albert Camus a 25 ans en 1938; l'année de sa pièce Caligula, début du "cycle de l'absurde".., Quoi qu'il en soit, la chose mérite d'être signalée.
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  • Relire la dernière page du Mythe de Sisyphe : Lien
  • Lire le Manuel de Pseusophanes dans Wikisource : Lien
  • Lire L'Oberman de Senancour par B.Didier, sur la page des célébrations nationales 2004.
  • Écouter Albert Camus en 1957, dans son Discours de réception du Prix Nobel : Lien

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