De par son travail sur la Chine, François Jullien est plongé dans le dialogue
des cultures. La question de l’universel se pose à partir de cette
topique.
Charles TAYLOR pose la même question mais avec une autre entrée. Il
étudie la montée de l’individualisme occidental, la
sécularisation et l’éclatement des identités, bref la formation
de l’identité moderne. Avec Axel HONNETH, il travaille la question
de la nécessaire reconnaissance dont a besoin l’individu. Sa thèse
est que « notre identité est partiellement formée par la
reconnaissance ou par son absence, ou encore par la mauvaise
perception qu’en ont les autres » (Multiculturalisme, 1992, trad. 1993, p.41). « La
reconnaissance n’est pas simplement une politesse que l’on fait
aux gens : c’est un besoin humain vital » (p.42)
Pour lui, deux changements majeurs sont à considérer :
A - « Le premier est l’effondrement des hiérarchies sociales
qui avaient pour fondement l’honneur. A côté de cette notion
d’honneur on a la notion moderne de dignité, utilisé à présent
en un sens universaliste et égalitaire » (p.43).
B - « Toutefois l’importance de la reconnaissance a été
modifiée et intensifiée par la nouvelle conception de l’identité
individuelle qui apparaît à la fin du XVIIIème siècle. On
pourrait parler d’une identité individualisée » p.44).
La conjonction de ces deux changements « a rendu inévitable la
préoccupation moderne d’identité et de reconnaissance » (p.43).
Mais ces deux tendances produisent une contradiction :
A’ - « Avec le passage de l’honneur à la dignité est
venue une politique d’universalisme mettant en valeur l’égale
dignité tous les citoyens, et le contenu de cette politique a été
l’égalisation des droits et des attributions » (p.56).
B’ - « Au contraire, le second changement, a donné naissance
à une politique de la différence. Tout le monde devrait être
reconnu en fonction de son identité unique » (p.57).
« Ces deux politiques, toutes deux fondées sur la notion de
respect égal, entrent en conflit. Pour l’une, le principe de
respect égal implique que nous traitions tout le monde en étant
aveugles aux différences » p. 62). « Pour l’autre, on
doit reconnaître et même favoriser la particularité » (p.63).
« Le reproche que la première fait à la seconde est de violer
le principe de non-discrimination. La seconde reproche à la première
de nier toute identité en imposant aux gens un moule homogène qui
ne leur est pas adapté ».
Mais le reproche des seconds va plus loin. La prétention à une
forme de neutralité des principes de dignité politique aveugles aux
différences est, en fait, le reflet d’une culture hégémonique.
« Tel qu’on le voit fonctionner, seules les minorités ou les
cultures supprimées sont contraintes (p.63) de prendre » la
qualification d’étrangères. Sous couvert de neutralité, « un
particularisme occidental se déguise en principe universel »
(p.64).
Bref « il doit exister une voie moyenne entre – d’un côté
– la demande inauthentique et homogénéisante pour la
reconnaissance d’égale valeur, et – de l’autre - l’enfermement
volontaire à l’intérieur de critères ethnocentriques » (p.97). Tel est le dessein de Charles Taylor.
Jean-Marc Parodi
_______________________________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire