jeudi 25 juin 2015

François Jullien, la Chine, l'universel


Présentation de François Jullien et problématique

Par Jean-Marc Parodi

François Jullien est un philosophe (qui n’a que 54 ans). Il a étudié la langue et la pensée chinoises à l’université de Pékin puis à Shanghaï. Il fait un doctorat d'État en études extrême-orientales.
Son premier travail est de nous permettre de saisir, autant que cela soit possible, la pensée de la Chine ancienne (Traité de l’efficacité, 1999). Mais cette démarche oblige à tenter de faire se rejoindre deux mondes extrêmement extérieurs. Aussi l’entreprise est tout de suite double : dire, dans notre langue (donc notre culture), le déroutant d’une autre culture c’est d’abord se décentrer vers un dehors ; mais c’est tout autant, parce qu’il faut bien traduire, penser notre culture à partir de ce dehors. On retrouve donc le sinologue traducteur et ethnologue et, dans un même mouvement, le philosophe qui réinterroge nos évidences. L’intérêt de l’entreprise (pour moi) n’est pas tant de découvrir la Chine que d’entendre, grâce à ce détour-retour, nos fondamentaux enfouis dans l’évidence, fondamentaux que la Chine nous fait découvrir partiaux et amputant le réel. Il s’agit de revisiter notre culture à l’aide d’un « dehors qui invite à découvrir notre étrangeté ». (L'Ecart et l'entre, p.17)

La question de la différence et de l'universel


Après 19 livres, il arrive donc « naturellement » à la question de la différence et de l’universel à partir des écarts de culture. Et suite à des cours faits en 2006, il écrit son livre « De l’universel ». C’est une réflexion sur le régime de l’altérité une fois rejetées les notions de différences et d’identité culturelles. Son travail le conduit à développer une position qui évite deux travers très présents dans nos réflexions contemporaines :
- l’universalisme à la française qui veut réduire tout écart au nom des valeurs universelles des droit de l’homme, au risque de nier les cultures et d’homogénéiser l’ensemble ;
- le différencialisme qui valorise des critères culturels au risque de l’ethnocentrisme (nous disons malencontreusement communautarisme) et donc au risque du relativisme qui fait que toute culture en vaut une autre (quelle que soit la sauvagerie à l’œuvre).
D’un côté il y aurait nivellement dans un projet d’assimilation qui prônerait la mêmeté ; de l’autre il y aurait valorisation de l’altérité au point qu’on ne peut que juxtaposer des cultures sans bien voir ce qu’elles font ensemble. D’un côté un universalisme abstrait et absolu, appauvrissant les identités culturelles ; de l’autre une expérience concrète d’une identité mais qui conduit à un identitarisme excluant.
La notion d’altérité se trouve menacée aujourd’hui des deux côtés. Soit qu’elle se voit livrée à l’assimilation qui standardise et, par suite, laisse le monde inerte ; soit qu’elle se voit livrée à une sacralisation qui l’absolutise, reste toujours renaissant d’une divinisation. (L'Ecart et l'entre,77)
La question traitée est décisive et les enjeux sont considérables dans un monde qui, d’un même mouvement, se globalise et se différentialise (le Coca est partout, l’anglais aussi et chaque ethnie réclame une reconnaissance de sa particularité ; ceci alimentant cela). 

La question de la différence et du semblable (traitée par Rosanvallon dans le système français) est LA question d’un monde possible pour tous. Les différences seraient-elles plus compatibles que les apparences ne le laissent croire ? Et sur quels appuis cette compatibilité ferait accord ?

Vers une autre conception de l'universel


François Jullien propose une voie que je résume ainsi. L’universel c’est l’amont dans lequel on se moule, le commun c’est l’aval qui réclame dialogue entre les cultures.
Ne pourrait-on pas concevoir une autre modalité de l’universalité humaine ?Non seulement qui se défie de tout message, fut-il le mieux intentionné, mais qui se refuse également au surplomb du sens et même à toute logique de convergence et de ralliement : celle précisément d’un universel qui ne vise pas à saturer les possibles, mais joue au contraire comme un désaturateur, rouvrant du manque dans chaque formation-institution positive, les inquiétant ainsi quant à leur légitimité, et reportant dans un lointain aventureux qui se dérobe le soulagement paresseux de la clôturation. » (De l'universel, 2008, p.105)
La catégorie de l’ « autre » (…) devenant pleinement opérante, s’avèrera comme la catégorie promotrice tant de l’humain que de la pensée. » (E-E 81) « Il faut de l’autre, donc de l’écart et de l’entre, pour promouvoir du commun. Car le commun n’est pas le semblable : il n’est pas le répétitif et l’uniforme, mais bien le contraire. » (E-E 72) « Je ne dirais même pas que le commun s’obtient par dépassement des différences ; mais plutôt qu’il ne se promeut qu’à partir et qu’à travers des écarts, ces écarts générant de l’entre, où s’effective le commun. » (E-E 73) « Dans cet « entre » qui n’est jamais isolable, ne possède rien en propre, est sans essence et sans qualité, mais par là même est « fonctionnel », dit le chinois, « communicationnel », et permet d’opérer. » (E-E 61)

« Il n’y a pas d’identité culturelle possible. On ne peut définir ce qui serait le propre d’une culture et constituerait son être même ou son essence. Car quel est ce « propre » du culturel ? C’est bien de se transformer et de muter. Une culture qui ne se transformerait pas est une culture morte. » (E-E 26) Que ce culturel « ne soit plus tenu pour le vernis rajouté au prosaïsme des choses, mais défini comme ce qui, ne cessant lui-même de se transformer, constitue l’amont de toute organisation sociale. » (E-E 73)

Jean-Marc Parodi.
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  • L’Écart et l'entre, présentation de l'éditeur : Lien
  • Lire en ligne L’Écart et l'entre, dans Archives iouvertes : Lien
  • François Jullien sur Wikipédia : Lien

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