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A la fin du XVIIIe siècle, rappelle Didier Fassin, en France mais aussi aux États Unis et dans la plupart des grands pays occidentaux, , le grand principe est posé: la séparation des fous et des criminels. Mais à partir de 1850, et durant presque un siècle, la population asilaire va croître, et la population carcérale diminuer. Puis à compter des années 1950 jusqu'à nos jours, après quelques soubresauts dus à l'histoire, on observe une évolution contrastée : les malades mentaux internés voient leur nombre divisé par trois, , mais le nombre des détenus double.Population carcérale et troubles mentaux
Si les causes principales de l'un et l'autre des phénomènes précédents peuvent être aisément identifiées et décrites, il n'en reste pas moins que de fortes interrogations se portent sur un phénomène inquiétant : la signification des troubles mentaux présents dans la population carcérale. Quelle est la part des causes antérieures à l'incarcération, quelle est la part des causes postérieures ? Il est souvent difficile de le déterminer avec précision.
Production de risques spécifiques
Ce qui est clair en revanche, c'est la production par l'enfermement de risque spécifiques, de fragilités psychiques allant jusqu'au risque suicidaire. La souffrance est avérée. Ainsi peut-on dire qu'en France comme dans d'autres pays similaires, une majorité de personnes incarcérées présente des troubles psychiatriques, troubles souvent trouvés graves par les spécialistes, et se combinant facilement avec des désordres de la personnalité.
Et les prises en charge psychiques et psychiatriques ne se pas à la hauteur des attentes. Notamment pour les phases aiguës, qui nécessiteraient une intervention rapide.
Suicide, quelle prévention ?
Avec un taux de 26 suicides pour 10 000 détenus en 1990, la France est en situation délicate. Or les tentatives de prévention, qui consistent à réveiller toutes les deux heures les sujets fragiles, n'aboutit qu'à augmenter l'anxiété, et le risque par conséquent.
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Nos réflexions : La question de ces interpénétrations de la sphère de la responsabilité pénale et de celle de la fragilité psychique ne peut être traitée sur le coin d'une table, mais elle interroge, bien évidemment. La privation de liberté n'est pas conçue comme une brimade par le législateur, mais comme le mélange incertain de punition et de mise à l'écart pour des raisons de sûreté. Mais il n'est évidemment pas vrai que cette privation de liberté ne marque pas les corps et les esprits, autrement que le fer rouge et les galères, certes, mais néanmoins durablement et profondément. Et ce va-et-vient au cours de l'histoire moderne entre les populations des asiles et des prisons est une figure révélatrice de la grande confusion qui existe à ce sujet dans nos sociétés.________________
(*) Didier Fassin, auteur de L'Ombre du monde, une anthropologie de la condition carcérale, Seuil, 2015.
- Sommaire détaillé du numéro d'Esprit "Aux bords de la folie" : Lien
- L'Ombre du monde, le livre de Didier Fassin présenté par l'éditeur : Lien
- Michel Foucault dans un entretien radiophonique de 44 min, à l'occasion de la réédition de Histoire de la folie : Lien
- Survoler l'Histoire de la folie de Michel Foucault, et lire la présentation de F.Gros : Lien
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