mardi 18 novembre 2014

Marcel Proust : Promesse et mauvaise foi

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Par PERMI4

Pour exemplifier la citation de Gabriel Marcel :
Il n'y a donc d'engagement possible que pour un être qui ne se confond pas avec sa situation du moment et qui reconnaît cette différence entre soi et sa situation, qui se pose par conséquent de quelque façon comme transcendant à son devenir, qui répond de soi.
… et de son commentateur :
Si à l'inverse j'exagère le sentiment de ma contingence, de ma dépendance, voire de "mon instabilité intérieure", je réduis jusqu'à peut-être supprimer pour moi la possibilité de m'engager, de formuler une promesse.
il nous est loisible de nous reporter à Marcel Proust qui l’illustre littérairement de manière parfaite dans la peinture qu’il fait de Charles Morel (le protégé malhonnête du très cultivé mais très trouble baron de Charlus) alors que celui-ci s’apprête à épouser la nièce du giletier Jupien.
 L’enthousiasme vertueux à l’égard d’une personne qui lui causait un plaisir et les engagements solennels qu’il prenait avec elle, avaient une contrepartie chez Morel. Dès que la personne ne lui causait plus de plaisir, ou même, par exemple, si l’obligation de faire face aux promesses faites lui causait du déplaisir, elle devenait aussitôt de la part de Morel l’objet d’une antipathie qu’il justifiait à ses propres yeux, et qui, après quelques troubles neurasthéniques, lui permettait de se prouver à soi-même, une fois l’euphorie reconquise de son système nerveux, qu’il était, en considérant même les choses d’un point de vue purement vertueux, dégagé de toute obligation. [La Prisonnière, Folio classique, éd. 2011, p. 45]

Le lecteur de la Recherche sera d’autant plus inquiet du devenir de cette union qu’il n’a pas oublié que précédemment, dans Sodome et Gomorrhe, le même personnage avait, en don Juan cynique, confié à son protecteur ce qui suit :
«Voyez-vous, dit Morel, désireux d'exalter d'une façon qu'il jugeait moins compromettante pour lui-même (bien qu'elle fût en réalité plus immorale) les sens du baron, mon rêve, ce serait de trouver une jeune fille bien pure, de m'en faire aimer et de lui prendre sa virginité.» M. de Charlus ne put se retenir de pincer tendrement l'oreille de Morel, mais ajouta naïvement: «A quoi cela te servirait-il? Si tu prenais son pucelage, tu serais bien obligé de l'épouser. —L'épouser? s'écria Morel, qui sentait le baron grisé ou bien qui ne songeait pas à l'homme, en somme plus scrupuleux qu'il ne croyait, avec lequel il parlait; l'épouser? Des nèfles! Je le promettrais, mais, dès la petite opération menée à bien, je la plaquerais le soir même.» [Sodome et Gomorrhe chap. III, Folio classique, éd. 2012, p.396]
La promesse n’est plus dans un tel cas qu’un moyen, une fausse monnaie, pour faire de l’Autre le jouet de ses désirs en le laissant espérer ce qu’il ne recevra pas, en décevant son attente, en réduisant à néant la foi semée. Confiance est pour ce don Juan synonyme de naïveté, de crédulité. Le langage n’est plus ce qu’il veut dire, la partie use de dés pipés.

PERMI4
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  • Une analyse minutieuse de La Prisonnière sur l'excellent site d'André Vincens dédié à La Recherche : Lien
  • Lire en ligne La Prisonnière, de Marcel Proust : Lien
  • Ecouter ou réécouter en ligne sur France Inter l'une des nombreuses émissions concernant Marcel Proust. Par exemple "Proust et Camus", "Proust et Nietzsche", "Proust et Montaigne", "Raphaël Enthoven lecteur de Proust", "Julia Kristeva lectrice de Proust", "Nicolas Grimaldi lecteur de Proust"... Lien


1 commentaire:

  1. De plus, sur le site du Collège de France, il est possible « d’assister » aux passionnantes conférences d’Antoine Compagnon intitulées « Proust en 1913 », cycle qu’il introduit de la manière suivante : « J’ai envie de relire Proust, Du Côté de chez Swann, comme si je n’en avais jamais parlé, comme si je découvrais le texte, comme si c’était la première fois ».
    http://www.college-de-france.fr/site/antoine-compagnon/course-2013-01-08-16h30.htm

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