dimanche 31 août 2014

Le 'consentement meurtrier' dans la pensée de Marc Crépon

couverture de Cités 2013/4

Marc Crépon développe depuis un certain nombre d'années une recherche sur la violence, le langage, l'identification. Il a publié notamment, en 2012, Le Consentement meurtrier, aux Éditions du Cerf. Il revient sur cette notion, en en soulignant toute l'importance, dans un article très concis paru en 2013 dans la revue Cités.

Marc Crépon part des ravages occasionnés par les identités meurtrières, ravages qui pourraient caractériser le XXe siècle. L'invocation meurtrière de l'identité, qu'elle soit culturelle, nationale, confessionnelle, raciale; l'appel à une appartenance, la construction d'un "nous", sont trop souvent mis en œuvre pour produire humiliations, exclusions, discriminations, justifiant en définitive le meurtre de l'autre. Il importe par conséquent de mettre en évidence "le caractère factice, fantasmatique, fanatique et donc indéfendable" de telles identités.
A ce modèle destructeur, il convient donc de substituer une autre description  de l'articulation entre le "je" et le "nous", qui donne droit aux "transferts", aux passages, à la traduction, aux importations et aux échanges - c'est à-dire au caractère constitutivement relationnel (et par conséquent "hétérogène") de toute identité, individuelle et collective. [p.141]
Il s'ensuit que rien n'est naturel ni sacré, bien sûr, dans ces ressorts que telles ou telles forces travaillent à faire jouer à leur profit. Mais pour que "tout meurtre, sans exception (que celle-ci se revendique de l'histoire, de la liberté, de la justice ou de la vérité) soit injustifiable", il faut deux choses. D'abord que le syntagme "nous les mortels" soit reconnu comme axiomatique. Puis que domine "le point de vue  [...] d'une éthique et politique de la responsabilité, de l'attention, du soin et du secours qu'exigent de partout et pour tous  la vulnérabilité et la mortalité d'autrui". 

"Et pourtant, il n'en va pas ainsi dans notre vie partagée", remarque Marc Crépon. "Indifférence, ignorance ou détestation de notre part poussent sans cesse au meurtre de l'autre. Et de fait, "nous ne cessons de transiger avec cette responsabilité." C'est ainsi que :
Le consentement meurtrier [...] constitue une dimension essentielle de notre appartenance au monde, à laquelle nul n'échappe, mais à laquelle, pour éviter de sombrer dans le nihilisme, chacun se doit de d'apporter singulièrement et de chercher collectivement des réponses : la révolte, la bonté, la critique, la honte.

Cette réflexion de Marc Crépon autour du consentement meurtrier apparaît radicale pour deux raisons indissociables. D'abord, parce qu'elle nous invite à replacer la violence au cœur de notre être ensemble, au lieu de conserver l'idée extrinsèque d'un mal parasite qu'il suffirait d'éradiquer pour recouvrer un état d'innocence. Mais aussi, parce qu'en soulignant nos responsabilités, elle désigne les moyens donc chacun est doté, pour parcellaire que soit ce pouvoir, en vue d'un non-consentement généralisé à la violence.

* * *
  • Notice sur Marc Crépon dans Wikipedia : Lien
  • Entretien avec Marc Crépon sur le site de l'ENS : Lien
  • Sur la violence, Marc Crépon invité de R.Enthoven sur Arte , 2013, vidéo 11 mn : Lien
  • Sur le livre Le Consentement meurtrier, présentation du Monde des Livres, 2013 : Lien
  • A propos du même livre, entretien avec Salima Naït Ahmed sur Actu Philosophia : Lien
  • La philosophie en France aujourd'hui (1) chez Cairn, présentation détaillée du numéro : Lien

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire