lundi 2 juin 2014

Albert Camus, qu'est-ce qu' ' écrire un manuel du bonheur' ?

"On ne découvre pas l'absurde sans être tenté d'écrire quelque manuel du bonheur" (suite)

Albert Camus, dans le Mythe de Sisyphe serait-il épicurien ? Serait-il stoïcien ? Il pourrait le sembler tout à tour.
" L'épicurien se choisit les situations, les personnes et même les événements qui cadrent avec sa constitution intellectuelle extrêmement irritable, il renonce à tout le reste - c'est-à-dire à la plupart des choses - puisque ce serait là pour lui une nourriture trop forte et trop lourde."
C'est Nietzsche qui parle, au § 306 du Gai Savoir. Il poursuit :
" Le stoïcien, au contraire, s'exerce à avaler des cailloux et des vers, des tessons et des scorpions, et cela sans en avoir le dégoût ; son estomac doit finir par être indifférent à tout ce qu'offre le hasard de l'existence... Et il aime à avoir un public d'invités au spectacle de son insensibilité, dont se passe volontiers l'épicurien.: celui-ci n'a-t-il pas un "jardin ?" 
Il est clair que Camus comme nous-autres, en matière de bonheur, oscille entre les deux tendances : assez sombre et volontaire pour passer pour stoïcien, assez lumineux et amoureux de la vie pour passer pour épicurien. Mais la raison nous gouverne. Ne sommes-nous pas enfants de Cicéron, qui écartant Zénon et Epicure, choisira comme boussole pour l'intellect occidental un platonisme moyen tempéré de scepticisme ? - Il se pourrait donc que Camus, tout admirateur qu'il soit de la Grèce, soit de quelque manière héritier de Cicéron, comme lui maître du verbe, comme lui philosophe, et comme lui engagé viscéralement en politique...

Par ailleurs, faut-il comprendre qu'aux yeux de l'auteur, "Le Mythe de Sisyphe" constituerait en lui-même un "manuel du bonheur" ? A la réflexion, je ne le crois pas. La rédaction de ce "manuel" est une tâche qui apparaît comme nécessaire à celui qui, comme Camus, accepte de voir en face, sans faux-fuyants, l'absence de réponse que le monde oppose à la requête de l'homme concernant sa signification (l'expérience de l' "absurde"). De cette tâche, Le Mythe de Sisyphe pourrait être la prémisse, mais rien n'indique qu'elle puisse aboutir prochainement : tout laisse penser au contraire que c'est une tâche infinie - à la Sisyphe - qui de génération en génération, est destinée à réveiller, à stimuler, à redresser l'homme résigné, dans sa lucidité et ses solidarités.

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