lundi 2 juin 2014

Jean-Paul Sartre, philosophie et politique

"Un acte philosophique peut-il changer la politique ?"

Plus modestement, j'aimerais tenter en quelques lignes de retrouver comment et dans quelle mesure le "geste" philosophique de Jean-Paul Sartre a pu changer la politique... Je m'en tiendrai au cadre de l'après-guerre, sauf à remonter le temps de quelques années.
  1. Dans "L'imaginaire" en effet, sous-titré "Psychologie phénoménologique de l'imagination", qu'il publie en 1940, Sartre propose un socle pour la pensée. Disciple de Husserl par les outils et la méthode, il accomplit pourtant un acte de pensée qu'on pourrait comparer à la  "Critique de la Raison pure", de Kant. Au terme de trois analyses étroitement articulées, (LE CERTAIN - LE PROBABLE - LA VIE IMAGINAIRE) il conclut (p.236) :
    "Ainsi, l'analyse critique des conditions de possibilité de toute imagination nous a conduits aux découvertes suivantes : pour imaginer, la conscience doit être libre par rapport à toute réalité particulière et cette liberté doit pouvoir se définir comme un "être-dans-le-monde" qui est à la fois constitution et néantisation du monde ; la situation concrète de la conscience dans le monde doit à chaque instant servir de motivation singulière à la constitution d'irréel."
  2. A la lumière de ce livre, L'Etre et le Néant pourrait apparaître, mutatis mutandis, comme la "Critique de la Raison Pratique" de Sartre. Du POUR-SOI au POUR-AUTRUI, c'est une ouverture de la pensée aux conditions concrètes de l'exercice d'une liberté en situation, au milieu et en lien avec la multiplicité des consciences.
  3. Ainsi, lorsque les problèmes de l'après-guerre poussent la communauté philosophique à l'engagement, Sartre s'est forgé un outil d'analyse extrêmement complet et robuste. A ne considérer que les deux textes sur le colonialisme proposés à notre attention, on comprend par là que dans le choix des angles d'analyse et des types d'argumentation, rien ne découle de l'improvisation ni du hasard. Se saisissant en outre de l'outil systémique dont il n'est pas l'auteur, mais que la recherche américaine en sciences sociales est en train de vulgariser, Sartre est en mesure d'avancer à grands pas dans l'imbroglio algérien.En toute rigueur d'analyse, ni "colon" ni "indigène" n'ont de valeur laudative ou dépréciative : seul, "colonialisme" défie la critique, et c'est à cette énigme, à ce monstre politique qu'il s'attaque. Négligeant la détermination des causes et des conséquences au bénéfice de la considération des "causes circulaires", Sartre démontre facilement la disparition de toute liberté de concevoir et d'agir autrement que le "système". A la limite, personne ne serait plus à absoudre ou à condamner, mais le système doit sauter.

    C'est dans ce sens que la virulence des propos de Sartre étonne encore : sont inexcusables à ses yeux tous ceux qui refusent de voir à quel point le système se condamne lui-même, et combien les ingrédients qui sont injectés pour sa survie augmentent les contradiction inhérentes à sa structure. On remarque que Sartre ce faisant ne s'égare pas dans la critique des faux-fuyants politiques, comme  le masque du "maintien de l'ordre" couvrant une guerre qui ne dit pas son nom, ou l'allégation de la "raison d'Etat" prétendant justifier la torture.
En conclusion, dans quelle mesure peut-on soutenir que le geste philosophique sartrien aurait "changé la politique" ?

A lui seul, assurément pas. Dans le concert des philosophes engagés de l'après-guerre, cela devient plus soutenable. La revue Les Temps Modernes a notamment été un phare, haï ou recherché, pour une grande partie de l'intelligentzia.

Il n'en reste pas moins que la pensée sartrienne elle-même a été un appui considérable pour les différents courants anti-colonialistes, de moins en moins minoritaires, qui aboutiront en 1962 à l'indépendance de l'Algérie.

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