lundi 2 juin 2014

Jean-Paul Sartre, le colonialisme comme système

Il me semble que si l'article de Sartre tiré de Situation V tient, c'est par la force de deux facteurs complémentaires - plus un troisième :
  • - La force de son dossier social, politique et économique : ici, il serait intéressant de parcourir les revues, les livres  et la presse de l'époque pour l'évaluer absolument ;
  • - La rigueur de sa notion de "système" : la "cybernétique", à la suite des conférences Macy tenues de 1942 à 1953 à New York, apparaît comme un outil désormais indispensable à l'étude des sciences sociales.
Quant au premier point, l'importance de ce type de dossier à l'époque n'a fait que croître, et sa multiplication pourrait caractériser l'essor des revues d'analyse et d'opinion de la période. Un point de comparaison intéressant : Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, est un ouvrage bâti également comme un dossier argumenté. Mais il y a eu aussi Albert Londres, qui a révolutionné le journalisme d'enquête sur les bagnes, notamment, sur la traite des Noirs.....
Quant au second point, il a pour caractéristique de rendre négligeable la signification de la recherche de causes, car selon le modèle cybernétique tout est à la fois cause, vecteur et conséquence (c'est l'idée de causalité circulaire).
  • - Le troisième facteur, me semble-t-il,  est la virulence de la charge, consistant à écarter toute nuance morale et toute considération d'opportunité politique du débat. Ici, cela vaudrait la peine d'explorer les publications communistes et chrétiennes contemporaines, notamment, pour bien saisir quels sont ces modérés que l'article vise prioritairement.
Et puisque le cours souligne l'action anti-colonialiste de Sartre, il semble intéressant de rappeler un courant qui sur ce point a précédé l'existentialisme. Les surréalistes, en effet, s'étaient dressé à peu près seuls, en 1925, contre la guerre du Rif, et en 1930 contre l'exposition coloniale,
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Un compte-rendu de lecture de Situations V à cette adresse : Lien

2 commentaires:

  1. "L’oppression nous vient de France mais l’esprit de libération aussi " écrivait en 1926 Nguyễn An Ninh, anticolonialiste vietnamien, à son ami le journaliste et écrivain Léon Werth, auteur de Cochinchine (éditions Viviane Hamy), livre écrit suite à son séjour sur place en 1925, dans lequel il dénonce la violence ordinaire subie par la population locale du fait de certains blancs assurés de détenir tous les droits de par la vocation civilisatrice hautement proclamée par l'Etat français.

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    1. Commentaire tout à fait concret sur le paradoxe du colonialisme, tel que Sartre, notamment, tentera plus tard de le thématiser ! Et d'autant plus intéressant qu'il émane d'un "colonisé". Mais nous sommes ici dans le premier choc éprouvant la pensée occidentale, notamment en France, celui de la première guerre mondiale ; et les vingt années de réflexion, mais aussi d'action qui vont suivre ne suffiront pas à préparer les esprits à la seconde épreuve, encore plus effroyable, de l'hitlérisme et de l'extermination de masse.

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