lundi 2 juin 2014

Quel homme était Jean-Paul Sartre ?

Dans un entretien radiophonique avec Georges Charbonnier datant de mai 1959 [Etudes, Juil-août 1980, pp.39.ss], Merleau-Ponty évoque Sartre jeune, tel qu'il l'a connu. "Un garçon petit, vigoureux, actif", mais aussi "simple" et "bon" Un trait de son caractère aussi : la gaieté : étudiant, il chantait perpétuellement, d'une voix de ténor bien timbrée. "L'auteur de La Nausée, par conséquent, qui passe à l'origine pour un auteur porté sur la mélancolie, était au contraire un garçon extraordinairement vivant, actif et gai."

A son retour de captivité en 1941, non seulement Sartre n'était pas marxiste, mais il était "très loin du collectif", voire "individualiste". "Et c'est assez frappant, ajoute Merleau-Ponty, qu'il soit parti de là." "Dans les années d'avant-guerre, il était assez apolitique; il ne s'intéressait guère à la politique, et si une politique l'intéressait, ce n'était certainement pas le socialisme, ça n'était pas les politiques du collectif.".
"Et quand il est rentré en France, après la mobilisation la campagne de France et la captivité, il n'avait pas changé ; certes, il était bien le même, mais il y tout de même ceci, c'est qu'il lui paraissait de plus en plus nécessaire de trouver un point de vue, en philosophie, d'où le collectif ne soit pas purement et simplement de l'irréel... C'est ainsi que dans L'Etre et le Néant, qu'il a écrit pendant les années de guerre et publié en 1943, on a vu apparaître ce problème des relations avec autrui."
Merleau-Ponty évoque aussi l'anti-humanisme que Sartre manifestait dans La Nausée. Dans ses écrits ultérieurs, souligne-t-il, "il lui paraît toujours fort difficile d'être un homme, c'est une situation malaisée ... mais enfin, il a tout de même orienté sa pensée dans le sens d'un certain humanisme."

La conclusion de Merleau-Ponty est particulièrement intéressante :
"Eh bien, cela s'est fait dans les années de la guerre. Naturellement, je crois que ça n'est pas le simple reflet des circonstances, mais que les circonstances l'ont amené à penser ce problème du collectif. On ne poeut pas se désintéresser du collectif quand on y est pris et quand on voit que la liberté même de l'individu ne se conçoit pas sans un certain contexte, d'où la nécessité de penser ce contexte et ses relations avec autrui, qui jouent un rôle fondamental dans L'être et le néant."
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Ceux qui ont connu Sartre, de son vivant, soulignent à l'envi combien, à l'inverse de ce que laisserait penser le ton souvent péremptoire de ses prises de position écrites, il était disponible pour l'écoute de ses interlocuteurs, toujours prêt à leur donner raison jusque contre lui-même, les invitant à poursuivre leur propre chemin de réflexion

"Il s'agit pour chacun d'arracher, de son vivant, sa propre vie à toutes les formes de la Nuit", écrira-t-il dans Situations IX.

Sur SARTRE toujours, une notation étonnante [L'Express, 19-25 avril 1980, cité par Esprit], de Jean-François Revel celle-là, sur la carrure du personnage à la fin de sa vie :
"En 1979, il se trouve aux côtés de Raymond Aron pour plaider devant le président Giscard d'Estaing la cause des "boat people" qui fuient le communisme vietnamien. Personne ne songe à lui demander quand il a eu raison et quand il a eu tort. Il est déjà au-delà du vrai et du faux, du bien et du mal. Il n'opine plus, il est. Sa seule présence est un signal".

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