samedi 7 juin 2014

Avec Nadia Yala Kisudiki, vers une critique de l'universalisme dans la perspective post-coloniale



Kisukidi  Sous le titre "Universalisme(s) : reprises, critiques et généalogie d'un discours", Nadia Yala Kisudiki dirige un programme de recherches au Collège internationnal de Philosophie. Lien
"Les études postcoloniales, expose-t-elle, ont développé une certaine critique de l’humanisme et de l’universalisme hérités des Lumières et des « effets d’aveuglement et de cruauté »(1) qu’ils ont pu induire en situation coloniale. Cet universalisme, en tant qu’il affirme l’existence de traits irréductibles de la vie humaine au-delà des effets produits par les conditionnements locaux et culturels et qu’il soutient, par suite, une certaine théorie des valeurs, apparaît certes incapable de reconnaître la différence culturelle, mais semble surtout soutenir les stratégies d’un discours impérial, promouvant une idéologie du progrès et de l’avancement masquant la domination des peuples colonisés. 

"Le discours universaliste pris dans ce qu’Achille Mbembe appelle la « prose coloniale », c’est-à-dire « le montage mental, les représentations et formes symboliques ayant servi d’infrastructures au projet impérial »(2) , peut ainsi être interprété comme un discours de la duplicité.[...]

"Le discours de l’universalisme, en disqualifiant les exigences émancipatrices qu’il présente comme lui étant propres, semble appartenir au registre de la fabulation et ne peut constituer, sérieusement, une proposition claire et effective en vue de la constitution d’une politique du vivre-en-commun, travaillée par une réflexion critique sur les expériences de violence et de négation ontologique et axiologique, en situation coloniale, post-coloniale, voire néocoloniale. Il semble ainsi saper les possibilités concrètes d’une cosmopolitique, en soutenant une logique de l’assignation à une identité (celle d’une race, d’une couleur, d’un genre…) soubassement de l’alternative discriminante eux/nous.
"
 Ceci étant posé, quel discours éthique et politique serait désormais à même de "disqualifier des stratégies de récusation de l'humain", sinon en cherchant du côté d'un nouveau concept de l'universel ?

L'auteur poursuit :
L’enjeu de ce projet consistera ainsi à tester la pertinence d’une reprise de la question de l’universalité selon quatre axes : 

1/ historique : établir la généalogie critique du discours de l’ universalisme


2/ éthique : se demander dans quelle mesure le recours au concept d’universel s’avère nécessaire et opérant pour démonter les stratégies de récusation de l’humain, soutenues par des processus imaginaires et rationnels d’altérisation et de fictionnalisation d’un absolu de la différence.


3/ politique/cosmopolitique : interroger les conditions à partir desquelles quelque chose comme un monde partagé, sapant toute « géographie du deuil  et de la souffrance » (Crépon), est  pensable. 


4/ disciplinaire : s’attacher aux productions de l’
africana philosophy - notamment aux œuvres de Senghor, Boulaga et Ela - ayant précisément pour objet la reprise d’une pensée politique centrée sur le concept d’universel, intégrant à la fois la critique théorique de l’universalisme et les expériences de cruauté et de violence propres à l’Afrique coloniale et postcoloniale.
Le questionnement est délicat. Il s'agit de "savoir si un universalisme concret et non plus abstrait apparaît concevable en sa vérité, ou si le fait même d’envisager une telle reprise ne souligne pas, plutôt, la persistance hégémonique d’un discours de l’universalisme usé dont il faudrait définitivement se défaire."

(1) (2) Achille Mbembe, « Qu’est-ce que la pensée postcoloniale ? », in Esprit, Décembre 2006,  n° 12, p. 118. Cet entretien peut être lu ici : Lien

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Sur Achille Mbembe : Lien

Sur Fabien Elboussi Boulaga : Lien

Sur la philosophie africaine, un numéro spécial de Rue Descartes, 2002, avec notamment l'article : "La décolonisation de l'Afrique vue par Les Temps modernes (1945-1952)", de Katharina Städtler : Lien

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