Dans un article intitulé "Réflexions sur l’exil"; publié initialement en 1984 et que l’on retrouve in extenso dans le volume au même intitulé (Actes Sud 2008 p. 241 sq), Edward W. Said développe une réflexion sur la situation de l’exilé, tant sur le plan psychologique que sociologique, sans manquer de référencer son propos par des reports à la poésie, à la littérature ou à la philosophie (dont la philosophe Simone Weil, laquelle justifie ici pour partie ce commentaire).
L’intérêt de cet article est multiple. Il éclaire cette situation de l’exil. Il dit l’exil comme « la fissure à jamais creusée entre l’être humain et sa terre natale, entre l’individu et son vrai foyer » pour conclure : « la tristesse qu’il implique n’est pas surmontable. » Said met en garde son lecteur contre le point de vue qui consiste à mettre au compte de l’exil un enrichissement culturel qui porterait à une considération notoirement esthétisante; et qui « éclipse [rait) l’horreur … de ce phénomène insupportable … [qui] a arraché des millions de gens à la richesse de leurs traditions, de leurs familles, de leurs origines».
Il ajoute, mentionnant à l’appui deux poètes, l’un ourdou, l’autre palestinien, que « rencontrer un poète en exil, à la différence de lire la poésie d’un exilé, c’est découvrir les antinomies de l’exil incarnées et endurées avec une intensité unique», précisant ensuite que « ces poètes, et beaucoup d’autres, ont conféré une certaine dignité à une situation prévue légalement pour nier la dignité, pour priver les individus de leur identité. »
Edward Said en vient à mentionner, en apport à son propos, Simone Weil qui, dit-il « a exprimé le dilemme de l’exil de la façon la plus concise qui soit » et il la cite : « Avoir des racines, dit-elle, est peut-être le besoin le plus important, et le moins reconnu, de l’être humain » (p.253). L’Enracinement, titre de l’ouvrage de Simone Weil, n’est pas précisé explicitement, mais il va sans dire. Sous la plume de l’auteur de cet article, l’interprétation de la citation de la philosophe française ne souffre d’aucune ambiguïté.
En conclusion à cette courte mention, cet article porte plus, à notre point de vue, sur l’exilé déjà établi dans un pays tiers, les différents cas de figure que présente son vécu (quasiment sur la fin comme un vade-mecum lui semble adressé), la vision que peut en avoir ou en refléter les poètes, les romanciers ou les intellectuels et, in fine, ce qui sous-tend le tout, la vision humaniste de l’individu exilé.
Ainsi Edward Said rejoint sur plusieurs points l’actualité des migrations auxquelles l’Europe doit faire face et l’urgence des réponses à leur donner ; en tout état de cause il nous instruit sur ce qu’il en est pour les déplacés que nous croisons dans nos vies respectives ainsi que sur l’avenir des migrants actuels et de leur descendance.
En cela, 31 ans après sa parution, cet article n’a pas perdu de son intérêt;
PERMI 4
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A propos des migrations, on trouve un article très intéressant à l'adresse suivante: collectifcritique.org, article intitulé "Les migrations entre passé et présent", sans doute rédigé par un(e) historien(ne) car très documenté. Il montre par des exemples tirés de l'histoire mondiale que les migrations ont toujours existé et qu'elles n'ont été néfastes que lorsque les pays d'accueil n'ont pas été à la hauteur de l’événement. Ce lien est mentionné par l'historienne Michèle Riot-Sarcey dans son entretien avec Marcel Gauchet sous l'intitulé des XXXes rencontres de Pétrarque, Le Monde daté du vendredi 8 juillet 2016.
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