jeudi 24 septembre 2015

Albert Camus, révolte et révolution

Les perplexités qui peuvent affecter le lecteur de L'Homme révolté, paru en 1951, l'incitent à chercher ailleurs, dans l’œuvre d'Albert Camus, quelques repères et jalons.

Précisément, l'éditorial qu'Albert Camus fait paraître dans Combat le 19 septembre 1944, entre Le Mythe de Sisyphe (1942)  et 1951 par conséquent, apporte quelques précisions passionnantes,   C'est un éditorial à chaud : la libération du territoire français n'est pas achevée, et la reddition de l'armée hitlérienne n'interviendra qu'en mai 1945.

Camus y note que le Mouvement de Libération nationale, qui succède depuis janvier 1944 aux Mouvements unis de la Résistance, a parlé de révolution lors de son important meeting du 17 septembre à la salle Pleyel. "Essayons de comprendre, enchaîne Camus. De quelle révolution s'agit-il ?" A l'évidence, ni celle de 1789, ni celle de 1917. Ce serait une révolution d'un type nouveau.
Les mouvements rassemblés à Pleyel n'ont même pas forcément une idée claire de cette révolution dont ils parlent. Mais ils parlent "au nom d'une force intérieure qui les dépasse, qui les a portés pendant quatre ans et qui, dans certaines conditions, pourrait prendre demain sa vraie forme". [(*) p.208]
La révolution n'est pas la révolte. Ce qui a porté la Résistance pendant quatre ans, c'est la révolte.. C'est-à-dire le refus entier, obstiné, presque aveugle au début, d'un ordre qui voulait mettre les hommes à genoux. La révolte, c'est d'abord le cœur.. Mais il vient un temps où elle passe dans l'esprit, où le sentiment devient une idée, où l'élan spontané se termine en action concertée. C'est le moment de la révolution. [p.209]
Albert Camus dans son éditorial invite à faire confiance à cette volonté affirmée. Il faut en effet croire aux "révolutions relatives", qui peuvent faire avancer l'homme, si peu que ce soit, "vers sa propre vérité."

Cette analyse répond d'une part à la ligne du journal Combat, dont la devise est "De la Résistance à la Révolution". Elle annonce d'autre part les réflexions sur la révolte et la révolution qui seront au cœur de L'Homme révolté, dont la compréhension nécessite décidément un retour en arrière vers cette époque de déchirements et de luttes où a mûri la pensée de Camus.

Ce rapprochement explique également le style journalistique, volontiers simplificateur et généralisateur, qu'affecte l'essai de 1951. Aucun hasard en la matière : c'est de l'intense travail d'Albert Camus au service de Combat que procèdent la problématique et la matière même de L'Homme révolté.
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(*) Camus à Combat, Folio Gallimard 2013, Lien éditeur
  • L'Homme révolté,lire dans Société des études camusiennes l'article de G.Basset : Lien
  • Ecouter E.Lalou présentant L'Homme révolté, audio 16 min, déc.1951 : Lien
  • Lire dans Rue 89, (2011), "L'Homme révolté de Camus éclaire les révolutions arabes", par R.Zaretsky : Lien
  • Camus et l'histoire de Combat, E.Jardin dans l'Obs du 04/01/2010. : Lien

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