Histoire de l'amour
Comme certains philosophes, peu nombreux sans doute (on pense à Avital Ronel), la nécessité de raconter l'histoire du problème éclate : c'était en juin dernier, l'auteur se nommait encore Beatriz Preciado, elle se sépare de la personne avec qui elle vivait, avec qui elle pensait vivre toujours, et voici qu'une détestation s'installe. Non pas détestation de la personne aimée précédemment, non pas pleurs sur l'amour bafoué, mais détestation de l'amour même.
Soit. En outre, cette recherche empirique inclut la confidence : connaissances et amis vivant en couple malgré des raisons évidentes de se séparer, contre séparation sans raisons évidentes : cela vaut remise en cause hautement philosophique :Pas suffisamment éloignés de saint Paul, nous étions habitués à parler, dans les politiques gay, lesbiennes et trans du «droit à aimer». Et voilà comment le fluide normatif de l’amour coulait en nous, les parias du système sexe-genre.
Mais, nous nous sommes séparés et ils ont continué à être en couple. Ils ont choisi l’amour comme pulsion de mort. Nous avons décidé de ne pas croire en cet amour pour le sauver de l’institution couple. Nous avons choisi la liberté à la place de l’amour. Platon était un filou, Saint-Valentin une ordure et saint Paul un pubard (*).
Amour, pulsion de mort, dé-sublimation
Il est vrai que tout cela est jeté sur le papier à la diable, et que l'auteur ne se soucie pas de nous entraîner dans l'articulation logique d'une démonstration rigoureuse. Au contraire, pastichant la Première Lettre aux Corinthiens :
«L’amour est cruel. L’amour est égoïste. L’amour ne comprend pas la douleur d’autrui. L’amour frappe toujours sur l’autre joue. L’amour casse. L’amour est grossier. Un sécateur est l’amour. L’amour est mensonger. L’amour est fallacieux. L’amour est avide. Un banquier est l’amour. L’amour est paresseux. L’amour est jaloux. L’amour veut tout. Une pompe d’extraction est l’amour. L’amour est vorace. L’amour est abstrait. Un algorithme est l’amour. L’amour est mesquin.[...]
Si donc l'amour peut être pulsion de mort, comme il est dit, c'est qu'amour est un mot flexible, sinon mensonger. Et puisque en outre dé-sublimation exprime le retrait de l'amour, le renoncement à lui, et quelque volonté d'extériorité à son égard, comment entendre la suite ?
Paradoxalement, maintenant que je ne crois plus en l’amour, pour la première fois, je suis prêt à aimer : de manière contingente, finie, immanente, anormale. Je sens que je commence à apprendre à mourir
PEUT-ETRE FAUT-IL PENSER L'AMOUR COMME N'AYANT PAS D'EXTERIEUR.
Ou encore pas d'alternative, pas d'opposé. Fils de Poros et de Pénia, Indigence et Expédient, selon l'enseignement de Diotime rapporté par Socrate à la fin du Banquet de Platon, amour est l'autre nom de notre extrême dépendance. Seulement il en va de l'amour comme du corps en son sommeil : il se retourne. Comme de l'esprit à l'écart de l'écriture : il fluctue, jusqu'à s'étranger à lui-même, jusqu'à ne plus se connaître comme amour. Mais amour-élan fait lui-même l'unité de toutes les formes qu'il affecte, souligne Georg Simmel, fussent-elle contradictoires. A l'extrême, ce qu'on nomme haine serait ainsi amour énucléé ; indifférence, la contingence même de l'amour.
Pourquoi tant d'amour ? nous demandions-nous par antiphrase. Parce que l'amour c'est moi, c'est nous, en tant qu'indéliables les uns des autres. Et pourquoi tant de haine ? selon la question du journal. - Parce que l'amour est partout, et il arrive que tout élan il se retourne.
(*) Pubard, argot, pour publicitaire.
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Paul B. Preciado, "Saint Valentin est une ordure", Lien
Platon, Le Banquet : Lien
S.Jamet, une étude sur Philosophie de l'amour, de Georg Simmel : Lien
Aujourd'hui, lundi 16 mars, Platon, le retour, avec notamment et précisément Le Banquet, dans l'émission Les Nouveaux chemins de la connaissance d'Adèle Van Reeth sur France Culture. Comme présentation, en copier-coller, ce qui suit : "Les paradoxes du désir (1/4) : Platon : le désir amoureux est-il raisonnable ? Aujourd'hui, premier temps de notre semaine consacrée au désir. Et c'est à travers le Banquet de Platon que nous allons essayer de cerner un de ces aspects. Pour nous en parler, nous avons le plaisir de recevoir Fulcran Teisserenc". Une bonne occasion de recoller la moitié du souvenir que nous avions pour quelques-uns d’entre nous d'un classique de la philosophie à la moitié - sinon plus - qui nous en est donnée ici, quand bien même l'émission a pour centre, comme indiqué, la notion de désir. Mais comment scinder les deux notions d'amour (avec un -s, au pluriel donc, et je préciserais même au féminin pluriel du mot (
RépondreSupprimercurieuse androgynie du mot AMOUR en français) il serait possible d'amplifier le propos et la problématique) et de désir (ses aspects variés et son caractère omniprésent et omnipotent est mentionné par le philosophe invité comme condition même de la vie et, entre autre, de l'acquisition du savoir) ?