De ce "Violence et métaphysique" aujourd'hui recueilli dans L’Écriture et la différence, qui fut d'abord un article donné en 1964 à la Revue de métaphysique et de morale et qui, avec ses 110 pages d'une typographie excessivement dense, pourrait faire à soi seul un livre, est-il raisonnable, est-il justifié de focaliser sur les derniers paragraphes, au risque de rigidifier la pensée flexueuse de Jacques Derrida, au risque de travestir en thèse ce qui n'est que question pour l'auteur ?
De thèse, il n'y en aura pas, parce que la thèse de Jacques Derrida dans cet article - à suivre ici l'la lecture de Frédéric Worms - est ailleurs : en premier, s'agissant de rendre compte de Totalité et infini, le premier grand livre de Emmanuel Levinas, Jacques Derrida décèle dans cet écrit, pour lequel il ne cache pas la plus grande admiration, la tentative de sortir la violence de la métaphysique, d'expulser la violence loin de la pensée - le terme "métaphysique" étant défini provisoirement pour nous de manière générale, peut-être selon la formule heureuse de Georges Gusdorf, comme "le regard qui prend en charge le monde". La pensée verrait alors le "mal" en surplomb, pensée comme pure de toute compromission, comme seul chemin pour sortir de la violence. Mais pour Derrida cette façon de voir est illusoire : si rien en principe n'échappe à la pensée, la pensée elle-même, de même que le langage, ne peut échapper à la violence. Le langage déjà est violence.
Tenter de désigner donc, comme semble le faire Emmanuel Levinas, un "au-delà" de la violence, c'est risquer la métaphysique dans une configuration non plus seulement théorique, mais de fait eschatologique voire prophétique, où s'entend par conséquent le "non-grec". La violence n'a pas d'au-delà, elle tient à l'ego pensant comme au monde qu'il pense. Et néanmoins, en définitive, qu'est-ce qui prévaut dans la philosophie, le Grec ou le non-Grec ? Ou mieux, la différence irréfragable entre l'un et l'autre ? C'est au terme de ce développement, beaucoup plus complexe que ce que l'on en retient ici, que Jacques Derrida se retrouve devant la question, qui tient bien moins d'une enquête que d'une méditation :
L'histoire serait ainsi ce différend indéfiniment vécu entre philosophes et prophètes... Ou mieux, ce différend à l'intérieur même de la pensée entre philosophie et prophétie :Sommes-nous des Juifs ? Sommes-nous des Grecs ? Nous vivons dans la différence entre le Juif et le Grec, qui est peut-être l'unité de ce que l'on appelle l'histoire.
A l'horizon de quelle paix appartient le langage qui pose cette question ?
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