jeudi 8 janvier 2015

L'attentat : l'extrême violence récuse-t-elle la pensée ?


En hommage aux victimes des attentats de janvier 2015 à Paris.

Issu du terme juridique attenter, s'efforcer d'atteindre, de ruiner - attenter à un bien, une existence, un droit, une autorité (Dictionnaire de la langue française de Littré), le terme attentat  en est venu aujourd'hui, du moins dans la langue courante, à signifier presque exclusivement une action qui, dans un contexte politique donné, vise à le remettre en cause et à le déstabiliser par la violence  (Le Petit Robert). Dans ce cas, l'auteur ou les auteurs d'un attentat ne craignent pas de mêler le sang de personnes innocentes à celui d'"ennemis" nommément désignés, voire de faire d'une tuerie, dans des circonstances données, la déclaration symbolique d'une cause désespérée jugée légitime.

Les réactions publiques à un attentat ainsi entendu sont significatives : compassion pour les victimes, indignation et reconnaissance de l'émotion produite, d'abord, dans sa légitimité. En second lieu, détermination à agir, dans la cohésion et la dignité, pour éteindre l'effet déstabilisateur de l'attentat, grâce à l'arrestation et la poursuite des coupables, dans un premier temps, puis grâce  à une action publique ferme et irréprochable, renforçant la légitimité des institutions...

Tenter de penser l'impensable ?


Une troisième dimension hante néanmoins les esprits, si elle n'est pas formulée d'emblée : la réflexion. L'aspect odieux de l'attentat ainsi entendu, le trouble, l'émotion qu'il produit dans les esprits, première note de l'attentat, se refermerait-elle aussitôt dans la détermination à l'action, action qui la résoudrait et même, peut-être (si l'on peut aller jusque là), la dissoudrait, la renvoyant à l'inexistence ? Une formule exprime la sortie, à laquelle aspire la pensée, de ce dilemme : "Comment est-ce pensable ?"

Si toutefois la pensée n'apparaît pas d'emblée comme un impératif, c'est qu'elle serait susceptible, soupçonne-t-on, d'un double jeu : comme si quelque part, réfléchir était déjà excuser, banaliser. Mais pour ne pas banaliser, il importe précisément, bien au contraire, de réfléchir, exerçant peut-être, de surcroît, une critique serrée de la réflexion. Réfléchir, non pas pour réduire l'intolérable au tolérable, et pas davantage pour dissimuler de justes indignations, comme si l'indignation était dépourvue de significations morales. Mais réfléchir, pour mieux approcher et situer la réalité, si insupportable qu'on la pressente.

Approche philosophique de l'attentat, ni terreur ni guerre


On cherchera en vain la notion d'attentat dans les tables et index de la plupart des répertoires, histoires et dictionnaires philosophiques. On sera renvoyé au mieux aux notions de violence et de terrorisme, plus largement étudiées. Mais si précisément, l'attentat dans sa singularité n'était pas réductible à la violence, à laquelle elle est néanmoins étroitement liée ? S'il importait précisément de déconnecter, par un effort de la pensée, l'attentat de la terreur, même si celui-là vise, plus ou moins explicitement, celle-ci ?

On en a une indication dans un mot d'ordre qui circule spontanément dans ces tragiques circonstances: ne pas céder à la terreur  - on irait jusqu'à dire : ne rien céder à la terreur. On n'admettra pas non plus facilement que le terme de guerre soit trop rapidement employé, comme si un ensemble (peuple, nation) affrontait réellement un autre ensemble.

Il faudra donc se résoudre à penser l'attentat dans sa terrible singularité : une action violente de quelques uns contre quelques uns, choisis ou non au hasard, et visant à esquisser dans le tissu complexe de l'histoire la phrase d'un discours politique inachevé qui pourra être audible ou non, suranné ou nouveau. Au risque de sembler nous contredire, dresser un ensemble contre un autre ensemble demeure bien, malgré tout, l'horizon symbolique de l'attentat, et comme son arrière-pensée magique. Mais c'est de cette illusion que la pensée très précisément, ayant d'abord écarté une première confusion de l'attentat avec la terreur, aura pour tâche de nous défaire : l'attentat n'est pas la guerre, il n'en est que le simulacre, un redoutable simulacre.

Nous conclurons donc avec la plus grande netteté : incitation hypnotique à la terreur et simulacre magique de la guerre, l'attentat n'est ni l'un ni l'autre.  De ces confusions, dommageables à la conscience civique comme à l'action politique, la pensée devra savoir nous garder.

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