mardi 16 décembre 2014

Simone Weil : lire aujourd'hui 'L'Enracinement'



A l'occasion de la parution du volume V des Œuvres complètes de Simone Weil intitulé Ecrits de New York et de Londres, dont la 4e de couverture dit en quelques lignes l'essentiel sur L'Enracinement., œuvre maîtresse du volume.

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Actualité de Simone Weil

Une émission France Culture (Répliques) du 08/03/2014, enregistrement audio de 52 minutes.
Invités : Robert Chenavier, directeur de la publication des "Cahiers Simone Weil", Emmanuel Gabellieri, doyen du Pôle Philosophie Sciences Humaines de l'Université Catholique de Lyon

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Notes d'écoute :

L'Enracinement, les conditions de la rédaction

Simone Weil est à Londres, au service de la France libre, après avoir mis les parents à l'abri aux Etats Unis. La déclaration des droits de l'homme est en préparation - Elle a conscience de faire "un second grand oeuvre" -  Elle  mourra de chagrin en Angleterre en 1943, ou de désespoir, et de tuberculose - Le malheur de l'histoire, l'agonie de l'Europe et l'impossibilité de participer aux combats - Du pacifisme de l'entre deux guerres (ne pas recommencer la tragédie de 1914-1918)  à l'idée d'une violence qui relève uniquement d'une nécessité, en mars 1939, au moment de l'entrée des forces hitlériennes à Prague - Marseille en septembre  1940, elle s'insère dans des réseaux de résistance Témoignage Chrétien clandestin - Elle était anti nazie dès 1933, où elle se rend en Allemagne pour se rendre compte de la situation - La résistance doit être autant spirituelle que militaire - Engagée à Marseille au risque de sa vie - Le traumatisme de la Guerre d'Espagne l'accompagne.


 Un grand livre

L'Enracinement est un grand livre, le grand livre "spirituel" de la Résistance. La notion des "besoins de l'âme" (chapitre 1er) introduit une nouveauté étonnante en philosophie politique.

Une des dimensions à discerner dans cette pensée est un dialogue indirect avec Jacques Maritain, qu'on note premièrement dans ses lettres au P. Perrin. En 1936 est paru Humanisme intégral, et lorsqu'elle rencontre Jacques Maritain en personne à New York en 1942, au nom de la Résistance, il a sur sa table le livre qu'il est en train d'écrire, Les Droits de l'homme et la loi naturelle, livre que Simone Weil va citer dans ses Ecrits de Londres. Le personnalisme de Maritain lui semble (à tort ou à raison) un individualisme naturaliste : elle ne voit pas chez lui de philosophie du travail, de l'économie. La problématique des droits de l'homme ne répond pas selon elle aux exigences de l'âme : il s'agit pour Simone Weil non de droits et de devoirs, mais d'obligations et de besoins. Elle est éloignée également du personnalisme d'Emanuel Mounier.

C'est donc en un certain sens une réflexion à contre-courant de l'idolâtrie des droits de l'homme. Mais dans un sens bien particulier, en revenant au pur esprit de 1789. Par obligations, Simone Weil entend obligations envers les hommes, de tout homme envers tout homme. Comme telles, elles s'imposent d'abord aux dirigeants, à l’État. Le droit a toute sa place, mais comme une instance moyenne : seule l'obligation est inconditionnelle. Au-dessus de l'institution du droit, il faut une autre institution qui puisse légitimer le droit : le besoin est plus objectif que le droit.


Qu'est-ce que Simone Weil entend par "enracinement" ?


L'enracinement est un besoin essentiel de l'âme humaine. Il y va de l'héritage, de la tradition créatrice, du milieu vital : on ne peut créer du neuf qu'à partir de ce qu'on a reçu. L'avenir ne peut être coupé du passé :la perte du passé est une tragédie. Ce besoin de continuité est proche d'Ortega y Gasset dans La Révolte des masses. Lier les générations entre elles est tout-à-fait nécessaire.

Selon Simone Weil, la mémoire doit privilégier les œuvres d'une grande pureté. Faut-il y voir un moralisme ? Les auteurs qui n'ont jamais donné aucun signe de servitude ont sa préférence. Pour elle, génie et sainteté coïncident, comme chez Platon. - La grande politique doit être sainte, un thème constant depuis sa dissertation de jeunesse rendue à Alain sur le beau et le bien : mais pour elle le saint est celui qui redescend dans la caverne)

La religion cachée correspond à un Dieu qui s'est retiré du monde. "La sainteté est un minimum", écrit-elle. Elle a pu lire l'article du P.Fessart dans le Témoignage chrétien clandestin qu'elle diffuse à Marseille, Le Prince esclave, sur le régime de Vichy, analysant la mission de Charles de Gaulle comme une mission spirituelle.


L'enracinement et l'action


Aujourd'hui la notion d'enracinement fait difficulté : on la voit spontanément dans le halo de Maurice Barrès (qui d'ailleurs parle seulement de déracinement). Mais il faut replacer cette notion dans le grand traumatisme de la défaite : la patrie comme milieu vital a été abandonnée. L'enracinement est un terme qui chez Simone Weil ne doit rien à Barrès, il signifie le rétablissement de relations multiples : la patrie est ce milieu vital qui permet à tous ces relations de se renouer.

Enfin L'Enracinement est à lire dans son rapport à la pensée de l'action, qui sous-tend toute la recherche de Simone Weil.. Il s'y articule une philosophie du travail, de la culture, de la religion... Et c'est tout à l'opposé de l'éloge des forts et de la force : au plus haut se trouve la compassion pour la faiblesse.
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  • Simone Weil, L'Enracinement : Lien
  •  L'Enracinement, extraits et présentation : Lien 
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  • Brève présentation d'Humanisme intégral, de Jacques Maritain, par son éditeur : Lien
  • Une lecture d'Humanisme intégral : Lien
  • Recension d'une lecture plus récente (2006) d'Humanisme intégral : Lien
  • Jacques Maritain, un article de Wikipedia : Lien
  • Une analyse récente (2006) de Les Droits de l'homme et le droit naturel, de Jacques Maritain : Lien
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  •  Emmanuel Mounier, Le Personnalisme : Lien
  • Une lecture récente du Personnalisme, d'Emmanuel Mounier : Lien

2 commentaires:

  1. Dans un article intitulé "Réflexions sur l’exil" publié initialement en 1984 et que l’on retrouve in extenso dans le volume au même intitulé (Actes Sud 2008 p. 241 sq), Edward W. Said développe une réflexion sur la situation de l’exilé, tant sur le plan psychologique que sociologique, sans manquer de référencer son propos par des reports à la poésie, à la littérature ou à la philosophie (dont la philosophe Simone Weil, laquelle justifie ici pour partie ce commentaire).
    L’intérêt de cet article est multiple. Il éclaire cette situation de l’exil. Il dit l’exil comme « la fissure à jamais creusée entre l’être humain et sa terre natale, entre l’individu et son vrai foyer » pour conclure : « la tristesse qu’il implique n’est pas surmontable. » Said met en garde son lecteur contre le point de vue qui consiste à mettre au compte de l’exil un enrichissement culturel qui porterait à une considération notoirement esthétisante et qui « éclipse [rait) l’horreur … de ce phénomène insupportable … [qui] a arraché des millions de gens à la richesse de leurs traditions, de leurs familles, de leurs origines». Il ajoute, mentionnant à l’appui deux poètes, l’un ourdou, l’autre palestinien, que « rencontrer un poète en exil, à la différence de lire la poésie d’un exilé, c’est découvrir les antinomies de l’exil incarnées et endurées avec une intensité unique», précisant ensuite que « ces poètes, et beaucoup d’autres, ont conféré une certaine dignité à une situation prévue légalement pour nier la dignité, pour priver les individus de leur identité. » Edward Said en vient à mentionner, en apport à son propos, Simone Weil qui, dit-il « a exprimé le dilemme de l’exil de la façon la plus concise qui soit » et il la cite : « Avoir des racines, dit-elle, est peut-être le besoin le plus important, et le moins reconnu, de l’être humain » (p.253. "L’Enracinement", titre de l’ouvrage de Simone Weil, n’est pas précisé explicitement, mais il va sans dire). Sous la plume de l’auteur de cet article, l’interprétation de la citation de la philosophe française ne souffre d’aucune ambiguïté.
    En conclusion à cette courte mention, cet article porte plus, à notre point de vue, sur l’exilé déjà établi dans un pays tiers, les différents cas de figure que présente son vécu (quasiment sur la fin comme un vade-mecum lui semble adressé), la vision que peut en avoir ou en refléter les poètes, les romanciers ou les intellectuels et, in fine, ce qui sous-tend le tout, la vision humaniste de l’individu exilé. Ainsi Edward Said rejoint sur plusieurs points l’actualité des migrations auxquelles l’Europe doit faire face et l’urgence des réponses à leur donner ; en tout état de cause il nous instruit sur ce qu’il en est pour les déplacés que nous croisons dans nos vies respectives ainsi que sur l’avenir des migrants actuels et de leur descendance. En cela, 31 ans après sa parution, cet article n’a pas perdu de son intérêt.

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  2. Ce substantiel commentaire est proposé à l'attention des lecteurs à cette même date du 14 septembre 2015 sous la forme de billet.

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