Après mention par Michel Vinaver :
- de Francis Ponge (Le Galet, mis en exergue de sa pièce),
- des « piécettes » dont est constituée sa pièce (et qui, selon Caroline Broué, « font entendre une multiplicité de voix dans ce 'monde sans procès' dont parlait Barthes », sachant que le dramaturge « ne souhaite pas affirmer un point de vue pour donner à entendre une multiplicité de choses »
- de son écriture nécessairement musicale,
Je n’ai pas l’impression de faire un théâtre politique si on dit que faire un théâtre politique c’est faire quelque chose qui aurait une finalité, qui répondrait à une volonté et, comme on dit, de livrer un message, de donner des solutions, de donner des réponses, de produire un résultat. Si c’est ça le politique, alors je ne fais certainement pas du théâtre politique. Je pense par exemple aux surréalistes. Les surréalistes sont des gens qui ont dépoussiéré, qui ont bousculé, qui ont révolutionné l’art, qui ont été très très loin du réalisme, du figuratif, mais qui ont travaillé à bouleverser les opinions, les préétablis, les valeurs, et leur message n’est pas formulable, leur message ne tient pas en un slogan. En tout cas, à l’intérieur de leurs œuvres, il n’y a pas de slogans possibles à récupérer. Mais on est dans une subversion, on est dans un bousculement, on est dans du révolutionnaire parce qu’on touche au regard et à la définition des choses.
Il y a un rôle citoyen du dramaturge qui est de donner à voir, donner à entendre le réel. Le théâtre n’imite pas la réalité, mais il fabrique un objet distinct du réel. Mais cet objet porte l’empreinte du réel et cette empreinte est peut-être plus parlante que ce qui est reçu comme directement politique via la télévision, les journaux, etc.
A ce propos, Joël Pommerat dans un de ces mêmes entretiens, remettait en cause pour le théâtre la primauté du verbe, la mise en scène étant une autre forme d’un apport de sens, la vraie finalité n’étant pas l’écriture mais le spectacle. Il ajoutait, tout en modulant ensuite son propos : « le théâtre, c’est presque une façon de faire de la philosophie concrète ».
Serait-ce là une forme d’ « engagement » (mot non prononcé dans les extraits entendus) d’un certain théâtre et plus généralement d’une certaine littérature en ce début de siècle ? Si « donner à voir, donner à entendre le réel » est un préalable à la réflexion, est-ce que cela suffit à penser et faire penser à propos du réel ? D’autant que la notion de réalité ne va pas de soi, qu’elle ne traduit toujours , dans l’exposé qui en est fait par tout un chacun, dans quelque domaine que ce soit (artistique ici, mais technique ailleurs, sociologique, etc.), qu’une vision particulière du monde et une découpe dans ce monde comme le fait la photographie, laquelle exclut le hors-champ de sa visée?
Quant à la mention fait par Joël Pommerat des surréalistes, elle mériterait d’être débattue par ailleurs.
PERMI4
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Texte de Marion Boudier sur le théâtre de Michel Vinaver, Joël Pommerat et quelques autres :
L’idée de « représentation du monde sans jugement », double visée du réel et du neutre, rassemble des œuvres qui aspirent à donner à voir le monde sans en orienter le commentaire et en débusquant le jugement dans nos représentations. En faisant l’hypothèse d’un « réalisme neutre », nous étudions les stratégies dramaturgiques de suspension du sens qui répondent à cette intention. Nous interrogeons l’existence d’une lignée de dramaturges qui, depuis le théâtre clinique de Tchekhov et à l’opposé du théâtre critique brechtien, conduit le spectateur à « l’étonnement d’un monde sans procès » (Barthes). En confrontant ces représentations du monde sans jugement au théâtre documentaire et au réalisme critique brechtien, nous analysons un changement de paradigme dans la représentation du réel, sa modélisation clarifiante et engagée laissant place à une expérience ouverte à l’interprétation. De Horváth aux auteurs quotidiennistes, en passant par Fleisser, Adamov, Kroetz et jusqu’à des réinventions contemporaines d’un théâtre « presque documentaire », comment ces esthétiques de la monstration échappent-elles à une simple symptomatologie superficielle du monde ainsi qu’aux malentendus induits par la délégation du jugement au spectateur ? Cette question oriente notre étude des décentrements dramaturgiques du réalisme, à travers lesquels s’affirment une autre pensée de la responsabilité critique du dramaturge et une dimension politique du neutre. Les œuvres et démarches de M. Vinaver, O. Hirata, J. Pommerat et L. Norén illustrent quatre modalités de ce « réalisme neutre », de l’exemption à la pluralisation du sens, en passant par le trouble, l’errance ou le saisissement du spectateur. Lien ENS Lyon.
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- Réécouter l'émission du 02/09/2014 sur France Culture et en lire la présentation : Lien
- A propos de Michel Vinaver, lire le numéro spécial (2011) de la revue en ligne Agon, Revue des arts de la scène (ENS Lyon), dédié au 11 septembre 2001, autour de la pièce de Michel Vinaver 11 Septembre 2001. Lien
- A propos de Joël Pommerat, un article fouillé d'Anne Sennhauser autour de la pièce mise en scène au Théâtre de l'Odéon, Ma chambre froide, 2011 : Lien
Cette réflexion très concrète sur des oeuvres dramatiques contemporaines représentatives me semble particulièrement intéressante. Il y a eu le théâtre de situation de Sartre, le théâtre de Brecht, les happenigs des Bred and Puppet, le Théâtre du soleil et bien d'autres... Ce théâtre de la "représentation du monde sans jugement" semblerait donc caractériser l'effort très contemporain de certains dramaturges pour rejoindre un public en attente d'une parole signifiante.
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