Maurice Blanchot fait connaissance avec Emmanuel Levinas dès l'arrivée de celui-ci en France, à l'université de Strasbourg, en 1926. C'est le début d'une amitié étroite, qui jamais ne se relâchera.
En 1988, il donne à l'Arche une lettre à Salomon Malka, un hommage à Levinas publié sous le titre : "Ce qu'il nous a appris."
L'apport de Martin Buber...
En 1923, Martin Buber publie à Heidelberg Je et Tu, un livre qui exercera une influence puissante sur bien des recherches philosophiques, de Husserl à Heidegger, de Jaspers à Sartre, de Scheler à Lacan, mais qui ne sera publié en France qu'en 1969. Comme si après la grande vague existentialiste, la pensée de l'après-guerre en France éprouvait le besoin de retrouver l'une de ses sources, antérieure à la tentative d'extermination des Juifs d'Europe. Une source restée en marge de l'université . Maurice Blanchot évoque ainsi l'importance de ce petit livre :
Martin Buber nous a appris l'excellence du rapport du Je et de l'Autre, en nous découvrant, sous l'émoi de l'affectivité (mais aussi par l'exigence d'une raison), la richesse et la beauté du tutoiement. Le rapport du Je au Tu est privilégié; il se distingue essentiellement du rapport du Je au Cela. Il est la rencontre qui précède toute possibilité de relation, rencontre où s'accomplit la réciprocité inespérée, inattendue, dans l'instant de foudre dont nous doutons encore, alors que nous en sommes sûrs. Mais cette réciprocité ne nous fait- elle pas oublier que le Je ne saurait être à égalité avec l'Autre, lorsque l'autre est Autrui ?
... et celui d'Emmanuel Levinas
Martin Buber met l'accent en effet sur la réciprocité. Au risque de dissimuler l'inévitable dissymétrie dans la relation, l'absence absolue d'égalité. Maurice Blanchot poursuit , mettant en lumière la position décisive d'Emmanuel Levinas: :
C'est précisément ce que nous a appris Levinas. Savoir qui n'est pas seulement un savoir. Il nous conduit sur un chemin plus difficile, parce que nous ne nous y retrouverons que par un bouleversement philosophique qui met l'éthique au commencement. Ainsi découvrons-nous Autrui, non plus dans l'égalité heureuse ou rude de l'amitié, mais dans la responsabilité extrême qui fait de nous l'obligé, voire l'otage, nous révélant l'étrangeté de la dissymétrie entre Toi et moi.
Situation dans laquelle le sujet se creuse et se déséquilibre, en perdant du coup son assurance de sujet :
Moi sans moi, qui n'a plus la suffisance de sa subjectivité, qui tente de se dépouiller de ce qu'il est et jusque de l'être, non pas pour une ascèse purement personnelle, mais pour tenter de rejoindre l'obligation éthique que je reconnais dans le visage et dans l'invisibilité du visage qui n'est pas la figure mais la faiblesse d'Autrui exposé à la mort, ou que je reconnais dans le « Dire » par lequel quand je parle à Autrui j'en appelle à lui - interpellation, invocation où l'invoqué est hors d'atteinte, puisque toujours au-delà de moi, me dépassant et me surplombant.
Comment reconnaître, ici encore, l'Ontologie phénoménologique sartrienne, dont L’Être et le néant se présente comme un essai ? Mais aussi, comment ne pas reconnaître l'extrême parenté de ces préoccupations, en ce moment philosophique de l'après-guerre ?
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A propos de Maurice Blanchot, on peut se reporter à l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut du samedi 23 mai 2015 avec les philosophes Jean-Luc Nancy et Michel Surya. Intitulé : Politiques de Maurice Blanchot.
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