lundi 2 juin 2014

Simone Weil, 'Sur les contradictions du marxisme'


Le rejet du marxisme rapproche Simone Weil d'Albert Camus (c'est Camus qui publiera ses écrits posthumes dans la collection Espoir, qu'il dirige à la NRF). Mais les voies sont sensiblement différentes. Simone Weil, dans son article de 1937 (?) intitulé "Sur les contradictions du marxisme" voit dans la pensée de Marx "une contradiction éclatante".
  • Simone Weil souligne l'apport conceptuel de Marx à la philosophie de l'histoire. "Tels sont les deux apports, souligne-t-elle, faits par lui dans l'histoire de la pensée : il a perçu, dans sa jeunesse, une formule neuve de l'idéal social et, dans son âge mûr, la formule neuve ou partiellement neuve d'une méthode dans l'interprétation de l'histoire. Il a ainsi fait preuve de génie."
  • Mais la pensée de Marx perd toute sa pertinence, selon Simone Weil, lorsqu'il bascule dans la pensée prédictive : "Par malheur, écrit-elle, il a tenu à faire de sa méthode un instrument pour prédire un avenir conforme à ses voeux. A cet effet, il lui a fallu donner un coup de pouce et à la méthode et à l'idéal, les déformer l'une et l'autre."
  • Weil déplore l'aveuglement de Marx : "Dans le relâchement de sa pensée qui a permis de telles déformations, il s'est laissé aller, lui, le non-conformiste, à une conformité inconsciente avec les superstitions les moins fondées de son époque, le culte de la production, le culte de la grande industrie, la croyance aveugle au progrès."
Il faudrait lire en entier ce texte, Sur les contradictions du marxisme, qui est beaucoup plus riche que ce qu'on peut en dire ici brièvement  Je fais simplement ici deux remarques :
  1. Dans cet examen critique de Marx, Simone Weil ne développe aucun rejet du matérialisme historique de Marx -- dont elle pourrait, à la limite, approuver au contraire la puissance méthodologique -- et encore moins ne s'appuie sur des aspirations spiritualistes ou religieuses.
  2. Le contre-type qu'elle oppose à la pensée de Marx, au contraire, est nommément celui de Proudhon : elle souligne la puissance de la transformation de la condition ouvrière opérée au cours de l'histoire par l'anarcho-syndicalisme, dont elle ne retrouve pas l'équivalent dans le communisme russe, dominé par une puissance étatique écrasante : "l'armée, la police et la bureaucratie."
D'où une série de questions possibles : Comment se fait-il qu'ayant apparemment les mêmes cartes en mains, Merleau-Ponty ait suivi un chemin plus capricant - d'Humanisme et terreur aux Mésaventures de la dialectique - et que Sartre à l'extrême opposé, en soit venu à voir dans le marxisme, à la fois "une philosophie arrêtée" et "un horizon indépassable" pour la pensée (Critique de la raison dialectique) ? Est-ce que cela découlait de questionnements "métaphysiques" différents, comme y insistent nos conférenciers (la liberté, l'horizon de l'homme), d'une analyse différente des situations et des nécessités, d'un "aveuglement" dû à des facteurs individuels... ou de tout cela ensemble ?
  • On trouve en ligne des extraits significatifs de l'article de Simone Weil : Lien

2 commentaires:

  1. On pourra consulter à ce propos, d'une part le numéro hors-série n°21 de la revue Philosophie Magazine intitulé "Les Philosophes et le communisme" et son article "Misère de la philosophie de Marx " (pp. 56-57) consacré à Simone Weil et, d'autre part, un article très éclairant, plus étoffé et bien articulé de Robert Chenavier: "Marx dépassé "au-dedans de sa pensée" "dans le cahier de L'Herne consacré à la philosophe (pp.243 sq). Ce sont là des articles (très abordable pour le premier) qui remettent en cause des idées toutes faites que l' "on" pourrait encore avoir tant sur Simone Weil que sur Karl Marx tant on sent que l'étude critique des écrits de celui-ci, par sa qualité (critique résumée dans ces articles mais dont on perçoit l'intérêt et invite à une lecture des textes référencés) , accorde une considération notoire pour son objet. Intéressant comme tout ce qui incite à une lecture (ou à une relecture) ou, tout du moins, à une autre manière de voir l'apport de ces penseurs.

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  2. Selon moi, on ne peut séparer cet article de Simone Weil de son époque. En dépit de la scrupuleuse lecture des textes qu'elle fait habituellement, il est difficile de penser qu'elle pourrait s'abstraire du poids du stalinisme sur le PCUS et de ses répercussion sur le PCF.
    A vérifier : il me semble qu'elle trouve un accueil plus ouvert en milieu syndical qu'en milieu politique, plus méfiant, et pour ses cours du soir, articles et conférences.

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