lundi 2 juin 2014

La violence, quel accès à la pensée ?

@ Nadia Yala Kisudiki : Violence et pensée
  • Il me semblerait pouvoir dire que Hume, Locke, Rousseau, Voltaire, Kant sont attelés à la rude tâche de rebâtir la philosophie après le moment cartésien et post-cartésien d'une philosophie qui met la violence entre parenthèses, afin de pouvoir penser une philosophie de la raison. Même Pascal, le plus accessible au sein de ce "moment" à l'aspect dramatique de l'existence, traverse la violence comme en état de grâce : pourquoi ? S'agirait-il ici du paradygme chrétien, où la violence du monde sur-signifiée en Christ est comme captée, concentrée, médiatisée - et finalement potentiellement neutralisée ? Dans sa dimension non pas sacrificielle, comme on le dit trop légèrement, mais substitutive, oui, où la conformation de l'homme (raisonnant sur sa destinée) à son modèle non pas multiplie, mais au contraire augmente et renforce cette concentration de la violence en son centre, pour en indiquer l'inanité foncière ?
  • Peut-être. C'est une question qu'il sera intéressant de poser à Simone Weil, le moment venu... Toujours est-il que les Lumières réintroduisent l'expérience de la violence, me semble-t-il, dans la pensée. C'est bien de la Guerre de Trente ans qu'il s'agit, par exemple, pour ne parler que de Voltaire. Et pourtant cela devient la violence en général, avec le comportement stupide des princes en général, la soif de pouvoir des prêtres en général, la cupidité révoltante des conquérants en général... et l'incapacité des philosophes à dire autre chose que des banalités qui ne s'accordent évidemment pas avec les faits.Néanmoins, Voltaire est le premier à tenter le récit d'un siècle, le précédent ! Mais ce détour par l'histoire, il n'en saisit pas encore l'incidence qu'il pourrait avoir par le truchement d'une conceptualisation adéquate. Disons qu'il n'en a pas besoin : les Lumières raisonnent décidément sur la nature humaine... La violence fait partie de la nature humaine, seule la raison écarte l'homme de la violence...
  • Quel poids les utopistes du XIXe auront-ils dans une véritable thématisation de la violence ? Trop peu, jugeront Engels et Marx. Pourtant, ces novateurs cessent de raisonner sur la nature humaine, pour se tourner vers la société où ils baignent. Pourtant Pierre Leroux décrit les conditions de l'accès à l'égalité. Et Saint-Simon et Fourier, plus que lui, approchent l'idée d'une société travaillée par des forces conflictuelles. A cette aune, les Réflexions sur la violence, de Georges Sorel, apparaissent comme un happax : le premier, peut-être, il articule nettement l'action individuelle et l'action de masse, pensées dans une société réelle, médiatisées par la notion de grève, recours de l'anarchisme à cette époque.
  • L'apport Engels-Marx semble donc décisif : la violence des classes dirigeantes à l'encontre des classes opprimées est réellement opératoire, jugent-ils. Elle n'a pas d'autre sens que de maintenir et renforcer cette articulation profitable aux uns et dommageable aux autres.
  • Qu'est-ce qui survient au tournant de la seconde guerre mondiale, qui va opérer le changement de la perception qui va être l'objet de ce cours ? Est-ce la violence de masse ? L'internationalisation des conflits ? La mise au grand jour des mécanismes de domination ? - Et, pour la première fois, l'extermination de masse, annoncée, programmée, et minutieusement exécutée ?
Sans doute la violence a-t-elle pris un nouveau visage. Sans doute la pensée s'est-elle découvert d'autres impuissances et d'autres pouvoirs. C'est tout une enquête à mener.

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