vendredi 20 juin 2014

Emmanuel Levinas lecteur de Franz Rosenzweig

Regardons de plus près la façon dont Emmanuel Levinas , sous le signe de Franz Rosenzweig et de quelques autres,entre dans Totalité et infini

Levinas lit Rosenzweig, bien sûr, dans l'allemand (l'édition originale est de 1921) ; et le premier éditeur, hollandais, de Totalité et infini, Martinus Nijhoff, rééditera L'Etoile de la rédemption quelques années plus tard... Voici comment j'essaie, pour ma part, de m'orienter.

  • "On conviendra aisément qu'il importe au plus haut point de savoir si l'on n'est pas  dupe de la morale." Cet première phrase de la préface originelle d'Emmanuel Levinas à Totalité infini me semble extraordinaire. Elle sonne à l'oreille, curieusement, comme une conversation qui se serait engagée avec Albert Camus, et plus précisément en écho à la première phrase de l'Introduction de Camus au Mythe de Sisyphe. La seconde phrase constitue d'ailleurs un pont menant de la "lucidité", thème éminemment camusien, à la guerre...
  • Plus loin, il ne serait pas impossible non plus d'apercevoir une référence à L'Homme révolté, paru en 1951, soit 20 ans plus tôt - suivie d'une allusion à Etre et Temps, de Martin Heidegger. On lit :  
"La conscience morale ne peut supporter le regard railleur du politique que si la certitude de la paix domine l'évidence de la guerre. Un telle certitude ne s'obtient pas par simple jeu d'antithèses. La paix des empires sortis de la guerre repose sur la guerre. Elle ne rend pas aux êtres aliénés leur identité perdue. Il y faut une relation originelle et originale avec l'être." (p.6)
  • Levinas éclaire alors sa démarche par une référence à Kant (Projet de paix perpétuelle) :
"Historiquement, la morale s'opposera à la politique et aura dépassé les fonctions de la prudence ou les canons du beau, pour se prétendre inconditionnelle et universelle, lorsque l'eschatologie de la paix messianique viendra se superposer à l'ontologie de la guerre."
  • Ici, avec une allusion implicite à Martin Buber (La Foi des prophètes, alld 1950), André Neher (Amos, 1950 ; L'Essence du prophétisme, 1972) et probablement quelques autres, Levinas entre en discussion avec Rosenzweig
"Toutefois, l'extraordinaire  phénomène de l'eschatologie prophétique  ne tient certainement pas à gagner son droit de cité dans la pensée, en s'assimilant à une évidence philosophique. [...] Elle n'introduit pas un système téléologique dans la totalité elle ne consiste pas à enseigner l'orientation de l'histoire. L'eschatologie met en relation avec l'être, par-delà la totalité ou l'histoire [...] Comme si un autre concept - le concept de l'infini - devait exprimer cette transcendance par rapport à la totalité, non-englobable dans une totalité  et aussi origienlle que la totalité."... (p.7)
Mettant la notion d' "infini" en balance avec celle de "totalité", on entre clairement avec Levinas au coeur du propos de Totalité et infini. Et par des voies, certes, qui vont éveiller le sens critique de Jacques Derrida, donc la lecture donnera lieu à Violence et métaphysique...

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