- L'auteur commence par la notion d'obligation, qu'elle compare avec celle de droit. "La notion d'obligation, écrit-elle, prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n'est pas efficace par lui-même, par l'obligation qui y correspond ; l'accomplissement effectif d'un droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelques chose envers lui."
- En deuxième lieu, elle met en relation le droit et le devoir. "Cela n'a pas de sens de dire que les hommes ont, d'une part des droits, d'autre part des devoirs... Un homme, considéré en lui-même, a seulement des devoirs, .. Les autres, considérés de son point de vue, ont seulement des droits."
- Survient alors une considération qui semble d'une autre nature. "L'obligation seule, écrit-elle, peut être inconditionnée. Elle se place dans un domaine qui est au-dessus de toutes les conditions, parce qu'il est au-dessus de ce monde." -- Ah ! Qu'entendre par-là ? S'agirait-il d'une caution supra-humaine des valeurs ? Le retour d'un arrière-monde ? Il le semblerait, et pourtant...
Là où par contre je verrais volontiers une imprégnation de l'évangile, c'est lorsque Simone Weil se lance avec intrépidité dans liste impressionnante des "besoins de l'âme", comme elle dit. Qu'est-ce que l'âme, dans ce cas ? Le siège des besoins. Mais ne peut-on entendre derrière cette énumération la sentence célèbre : " L'homme ne vit pas seulement de pain..." ? L'ordre, la liberté, l'obéissance, la responsabilité, l'égalité, la hiérarchie etc... Ce pourrait pourrait presque passer pour une moderne déclinaison du Vrai, du Beau, du Bien - les idées éternelles de Platon.
Mais alors la sentence alléguée par l'évangéliste Matthieu pourrait se poursuivre : "L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur." ? -- Mais non : Simone Weil n'est pas dans cette démonstration d'une divinité des valeurs. "Mais de toute parole de la créature en faveur de la créature", voilà, me semble-t-il, ce qu'elle pourrait dire encore. Imprégnée ou non d'évangile, c'est bien d'une parole humaine que l'humanité a besoin dans son déracinement (et ne serons-nous pas conduits à rapprocher quelque peu Simone Weil d'Emmanuel Levinas ?).
Les dernières pages du livre, au contraire des premières, discutent ouvertement les figures de Dieu incompatibles avec l'esprit de liberté. C'est une charge contre une représentation infantile de la providence, où elle cite à plusieurs reprises non la Bible, mais les Védas ou les Upanishads (elle ne précise pas) que René Daumal récemment lui a appris à lire dans le sanskrit, Ce faisant, elle vise évidemment une hiérarchie catholique (en France) si peu effrayée par Hitler qu'elle fait montre d'une grande complaisance avec le Maréchal. "Ils disent que la Providence a voulu (je paraphrase librement) cette situation de domination pour rappeler une génération égarée à la soumission aux lois divines" (les lois de séparation de l'Eglise et de l'Etat n'ont pas 40 ans). Or, pour Simone Weil, nous sommes menés par un esprit de liberté ; l'esprit de servitude ne mène qu'à une impasse.
Et sur ce point particulier de la providence, précisément, elle écrit : "Il n'y a qu'un cas où il soit légitime de parler de vouloir particulier de Dieu. C'est quand surgit dans une âme une impulsion particulière, qui porte la marque reconnaissable des commandements de Dieu. Il s'agit alors de Dieu en tant que source d'inspiration."
Je crois que tout est dit. Que chaque locuteur, en sa conscience, puisse être dépositaire d'une motion qu'il nomme divine, c'est une chose. Mais qu'il cesse pour autant de réfléchir humainement aux choses humaines, et de parler humainement en faveur de l'autre homme, en serait une autre, qui ferait apparaître en lui l'inhumanité.
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