Quel statut pour les étrangers ? En 1995 déjà, Pierre Bourdieu estime que dans le discours des responsables et candidats politiques, le compte n'y est pas. Il apparaît que par trop de velléités et demi-promesses, on condamne sempiternellement des êtres humains au hors-droit, faute de courage politique. Or on prétend, sur la foi de sondages tout-à-fait discutables, qu'évoquer ce problème pousse une partie de l'électorat vers l'extrême droite. Et si c'était l'inverse, justement ? Si la frilosité devant l'affirmation d'un droit pour les hors-droit était à même d'affaiblir l'autorité de l’État, créateur de droits, et le crédit de la démocratie, protectrice des minorités ?
En outre, le langage employé à propos des "immigrés", remarque-t-il, est biaisé, voire mensonger. Comment peut-on parler d'immigrés de la seconde ou de la troisième génération, à propos de personnes nées sur le sol français et qui n'en ont jamais bougé ? Ou encore, pourquoi accoler à immigré l'adjectif "clandestin", sinon pour leur conférer une aura douteuse, voire sulfureuse, d'importateurs de denrées illicites et nuisant gravement à la santé ?
Non sans humour, Pierre Bourdieu intitule son article - Libération, 3 mai 1995, agrégé en 1998 au recueil Contre-feux - "Le sort des étrangers comme schibboleth". Schibboleth, le mot de passe qu'on oblige celui qui franchit une frontière à prononcer pour avoir la preuve de son appartenance. Ici, l'antique usage est retourné : aux hommes politiques de prouver par leur engagement qu'ils sont fondés à se présenter devant les citoyens et à prétendre à leurs suffrages.
Vingt ans après l'article de Pierre Bourdieu, avons-nous fait de notables progrès ?
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