jeudi 22 janvier 2015

Le "Est-ce que c'est en train d'arriver...?" d'Avital Ronell


L'incroyable, l'impensable, l'évènement dans sa brusque apparition, dans sa brutalité, dans son absurdité, dans le doute où il nous met sur le monde et sur nous-mêmes, c'est ce qu'Avital Ronell tente d'approcher, de creuser, de faire résonner dans ce court texte, en forme de méditation dans l'ombre de Jean-François Lyotard, qui conclut son livre Lignes de front. "Est-ce que c'est en train d'arriver ... ?"

Que le temps qui semble d'ordinaire nous assurer et nous porter apparaisse d'un coup contraire - un temps dur et étranger à la rencontre de notre temps, en collision avec le temps devenu léger avec lequel nous avions passé des accords, que nous traitions à l'aide de sortilèges et de ruses ; qu'il fouette et annihile nos fragiles certitudes, non seulement sur la consistance du monde mais encore sur la consistance même de notre être, voilà qui est épreuve, non seulement épreuve d'exister, mais épreuve d'être, épreuve du fond sans fond de l''être homme.

"Est-ce que c'est en train d'arriver, à nous, à moi ?" Ainsi la fragile cohérence du monde, péniblement échafaudée, remet en pleine lumière la cohérence non moins fragile et menacée de ce moi que l'évènement semble viser. Et la pensée désespère. Avital Ronell écrit en effet, se référant à Jean-François Lyotard :

La philosophie a besoin d'être envahie par des incohérences nouvelles, saturée par le sentiment des dommages.

Car le temps n'est certes pas un jouet livré avec une notice intitulée (Avital Ronell) "L'art d'en parler et de passer à autre chose". Elle écrit encore :

Si je comprends bien, Lyotard demande qu'un contact soit établi avec les ravages réels de l'impossible et que l'on marche sous les coups incessants d'une indomptable horreur. Même si l'objet semble nous échapper, (surtout quand il nous échappe), il nous faut y aller, y être, s'y tenir.

"Il y a quelque chose dans le cœur des choses qui est dépourvu de sens", ajoute-t-elle gravement, quelques lignes plus loin. Et encore :

La pensée ne s’acquitte de sa tâche de témoignage que si elle s'expose sans réticence à la rencontre du non-présentable.

Jean-François Lyotard sous-titre son volume L'Inhumain "Causeries sur le temps" (Galilée, 1988) - ou  comment le temps peut être "causé" - rappelant l'existence d'un sentiment que la philosophie doit s'employer à soutenir, à garder vivant, et non à escamoter. Un sentiment qui doit porter la philosophie à demeurer dans la "stupeur", tissant un lien durable avec les laissés pour compte.

Avital Ronell, Lignes de front, trad. D.Loayza, Stock 2010.
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  • Avital Ronell dans Wikipedia : Lien
  • Avital Ronell sur France Culture le 28 novembre 2014, audio 52' : Lien
  • Lignes de front, la quatrième de couverture : Lien
  • Les articles d'Avital Ronell publiés dans Libération : Lien

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