lundi 20 octobre 2014

Sigmund Freud, 'Malaise dans la civilisation'


Quel est ce Malaise dans la civilisation (1929). de Sigmund Freud, qui paraît en traduction en 1934 dans la Revue française de psychanalyse, et qui semble revêtir pour Herbert Marcuse une importance si particulière ?

C'est un long article d'une centaine de pages réparties en sept chapitres, et non une conférence, et encore moins un traité. S'y développe une pensée du soir, une méditation presque intime, sans éclats de voix, empreinte de nuances, de prudence. L'aspect clinique reste à l'arrière plan, traité par allusions : il s'agit de donner forme à des appréhensions, d'articuler en hypothèses sensibles et raisonnables le pessimisme sur la marche du monde occidental que Freud partage avec les élites intellectuelles qu'il rencontre ou avec lesquelles il est en correspondance.

Dialogue et continuité


Ce livre est difficilement détachable de l'ensemble des essais que Freud, à la fin de son existence, consacre au passage qu'il tente de l'individu en proie à la névrose - sa névrose personnelle pour ainsi dire - à la vie des sociétés. Il fait d'ailleurs une longue allusion, dès le 2e chapitre, à L'Avenir d'une illusion (1927 - France 1932) où Freud s'interroge sur la persistance, symptôme dommageable à ses yeux, du fait religieux.

Dans Malaise dans la civilisation, Freud s'appuie explicitement sur le sentiment océanique que Romain Rolland lui a suggéré à la lecture de cet Avenir d'une illusion (chapitre 1er). L'oeuvre s'attache à montrer comment la vie en société, qui procure à l'homme sécurité et large satisfaction de ses besoins, l'oblige en regard à sacrifier une grande partie de ses désirs instinctifs : ce sacrifice l'amenant soit à sublimer en morale, en art ou en science les énergies ainsi comprimées, soit à les refouler, au risque qu'Eros, le désir, cède la place à la pulsion de mort. Ce concept de pulsion de mort est en effet élaboré par Freud dès Au-delà du principe de plaisir (1920) - livre écrit dans le retentissement de la première guerre mondiale.

Deux jalons importants, par conséquent, dans la généralisation tentée par Sigmund Freud en vue d'affronter l'épreuve de la guerre mondiale d'abord, et la grande dépression assortie de la montée des fascismes européens d'autre part.

La lecture de Herbert Marcuse


Il est difficile d'imaginer que Marcuse ait été aveugle aux aspects problématiques de cette pensée. Mais il est possible aussi que ces recherches tardives de Freud servent trop bien l'énergique dénonciation de Marcuse pour que celui-ci, malgré la prudence qu'il affiche, en soumette les hypothèses à un nouvel examen.

Reste l'impression que Herbert Marcuse néglige la prudence du maître et le style hypothétique de sa pensée. Tout se passe en outre comme si, de ces cent pages, il ne retenait que la dernière. Sur le point de conclure, Freud écrit en effet :
A quoi servirait donc l'analyse la plus pénétrante de la névrose sociale, puisque personne n'aurait l'autorité nécessaire pour imposer à la société la thérapeutique voulue ? En dépit de toutes ces difficultés, on peut s'attendre à ce qu'un jour quelqu'un s'enhardisse à entreprendre dans ce sens la pathologie des sociétés civilisées.
Marcuse se voit-il comme ce penseur hardi ?

Une conclusion en demi-teinte


Et Malaise dans la civilisation se termine ainsi :
La question du sort de l'espèce humaine me semble se poser ainsi : le progrès de la civilisation saura-t-il, et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions humaines d’agression et d'auto-destruction ? [...] Les hommes d'aujourd'hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature, qu'avec leur aide, il est devenu facile de s'exterminer mutuellement jusqu'au dernier. Ils le savent bien, et c'est ce qui explique une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse. Et maintenant, il y a lieu d'attendre que l'une ou l'autre des deux "puissances célestes", l'Eros éternel, tente un effort afin de s'affirmer dans la lutte qu'il mène contre son adversaire non moins immortel.
Littérairement parlant, l'image mythologique est belle. Est-il possible pour autant de fonder une pensée sur la lutte éternelle du bien et du mal ? Freud ne le prétend pas : sous sa plume, cette flamboyance manichéenne pourrait n'avoir pour fonction, selon moi, que d'exprimer la détresse de la raison face à ces violences.

Malaise dans la civilisation, traduction Ch. et J. Odier, PUF, 1981.
_________________________________

  • Présentation de Malaise dans la civilisation par L. Hansen-Löve suivie de discussions pertinentes : Lien
  • Analyse, par Marlène Belilos,  des échanges Romain Rolland -- Sigmund Freud à propos du "sentiment océanique" notamment :Lien
  • Les Malaises dans la culture, avec Marlène Belilos (Freud-Romain Rolland) et Marie-Hélène Brousse (Lacan), psychanalystes, un séminaire de 2012, vidéo de 2 heures : Lien
  • Malaise dans la civilisation, le texte numérisé : Lien

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    En ligne sur mon blog, une fiche de lecture consacrée au Malaise dans la culture/civilisation de Freud : http://100fichesdelecture.blogspot.fr/2015/05/freud-malaise-dans-la-culture-1929.html

    RépondreSupprimer